Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/370

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et dix ans passés. La faveur du public ne se signala jamais avec plus d’indulgence. En vain ce petit nombre d’hommes qui va toujours aux représentations armé d’une critique sévère réprouva l’ouvrage ; rien ne prévalut contre l’heureuse disposition du public, qui voulait ranimer un vieillard dont il plaignait la longue retraite, dont les talents avaient trouvé des partisans que le public aimait ^

Il est vrai qu’on riait en voyant Catilina parler au sénat de Rome du ton dont on ne parlerait pas aux derniers des hommes ; mais après avoir ri, on retournait à Catilina. On la joua dix-sept fois. Rien ne caractérise peut-être plus la nation que cet empressement singulier. Il y avait, dans cette faveur passagère, une autre raison qui contribua beaucoup à cet étrange succès, et qui ne venait pas d’un esprit de faveur-.

Mais, après que le torrent fut passé, on mit la pièce à sa véritable place ; et quelque protection qu’elle eût obtenue, on ne put la faire reparaître sur la scène. Les yeux s’ouvrent tantôt plus tôt, tantôt plus tard, Catilina était trop barbarement écrit ; la conduite de la pièce était trop opposée au caractère des Romains, trop bizarre, trop peu raisonnable, et trop peu intéressante, pour que tous les lecteurs ne fussent pas mécontents. On fut surtout indigné de la manière dont Cicéron est avili. Ce grand homme, conseillant à sa fille de faire l’amour à Catihna\ était couvert de ridicule d’un bout à l’autre de la pièce.

Lorsque l’auteur récita cet endroit à l’Académie dans une séance ordinaire et non publique, il s’aperçut que ses auditeurs, qui connaissaient Cicéron et l’histoire romaine, secouaient la tête. Il s’adressa à M. l’abbé d’Olivct: Je vois bien, lui dit-il, que cela vous déplaît. — Point du tout, répondit ce savant et judicieux académicien ; cet endroit est digne du reste, et fai beaucoup de plaisir à voir Cicéron le Mercure de sa fille.

Une courtisane nommée Fulvie, déguisée en homme, était encore une étrange indécence. Les derniers actes froids et obscurs achèvent enfin de dégoûter les lecteurs.

Quant à la versification et au style, on sera peut-être étonné que l’Académie, à qui l’auteur avait lu l’ouvrage, y ait laissé sub-

1. Autre flatterie pour Mme de Pompadour, protectrice de Crébillon. (B.)

2. La haine de quelques personnes puissantes contre M. de Voltaire, et l’envie des gens de lettres. (K.)

3. Cicéron, dans le monologue qui termine le deuxième acte, dit :

Employons sur son cœur le pouvoir do TuUio.

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