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ÉCLAIRCISSEMENTS HISTORIQUES. 49:3

On les accusa encore d'être manichéens, quoiqu'ils n'eussent jamais entendu parler de Manès.

L'infortuné comte de Toulouse Raimond VI, contre lequel on fit une croisade pour le dépouiller de son État, était très-éloignc des erreurs de ces pauvres Albigeois : on a encore sa lettre à l'abbé et au chapitre de Cîteaux, dans laquelle il se plaint des hérétiques, et demande main-forte. C'est un grand exemple du pouvoir abusif que les moines avaient alors en France, Un sou- verain se croyait obligé de demander la protection d'un abbé de Cîteaux : il n'obtint que trop ce qu'il avait imprudemment demandé. Un abbé de Clairvaux, devenu cardinal et légat du pape, marcha avec une armée pour secourir le comte de Tou- louse, et le premier secours qu'il lui donna fut de ravager Céziers et Caliors, en 1187. Le pays fut en proie aux excommunications et au glaive à plus d'une reprise, jusqu'à l'année 1207, que le comte de Toulouse commença à se repentir d'avoir appelé dans sa province des légats qui égorgeaient et pillaient les peuples au lieu de les convertir.

Un moine de Citeaux, nommé Pierre Castelnau, l'un des lé- gats du pape, fut tué dans une querelle par un inconnu ; on en accusa le comte de Toulouse, sans eu avoir la moindre preuve. Le siège de Rome en usa alors comme il en avait usé tant de fois avec presque tous les princes de l'Europe : il donna au premier occupant les États du comte de Toulouse, sur lesquels il n'avait pas plus de droit que sur la Chine ou sur le Japon. On prépara dès lors une croisade contre ce descendant de Charlemagne, pour venger la mort d'un moine.

Le pape ordonna à tous ceux qui étaient en péché mortel de se croiser, leur offrant le pardon de leurs péchés à cette seule condition, et les déclarant excommuniés si, après s'être croisés, ils n'allaient pas mettre le Languedoc à feu et à sang.

Alors le duc de Bourgogne, les comtes de Nevers, de Saint-Pol, d'Auxerre, de Genève, de Poitiers, de Forez, plus de mille sei- gneurs châtelains, les archevêques de Sens, de Rouen, les évêques de Clermont, de Aevers, de Bayeux, de Lisieux, de Chartres, assemblèrent, dit-on, près de deux cent mille hommes pour ga- gner des pardons et des dépouilles. Ces deux cent mille dévots étaient sans doute en péché mortel.

Tout cela présente l'idée du gouvernement le plus insensé, ou plutôt de la plus exécrable anarchie.

Le comte de Toulouse fut obligé de conjurer l'orage. Ce mal- heureux prince fut assez faible pour céder d'abord au pape sept

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