Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/543

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génération dans laquelle il vivait ne passerait pas sans que les vertus des cieux fussent ébranlées ; sans qu’il y eût des signes dans le soleil, dans la lune, et dans les étoiles ; sans qu’enfin Jésus vînt dans les nuées avec une grande puissance et une grande majesté ? Certainement il n’y eut ni signe dans le soleil, dans la lune, et dans les étoiles, ni de vertu des cieux ébranlée, ni de Jésus venant majestueusement dans les nuées.

Comment le fanatique qui rédigea les Épîtres de Paul est-il assez téméraire pour lui faire dire[1] : « J’ai appris de Jésus que nous qui vivons nous sommes réservés pour son avènement ; sitôt que le signal aura été donné par la trompette, ceux qui sont morts en Jésus ressusciteront les premiers ; puis nous autres qui sommes vivants nous serons emportés avec eux dans l’air pour aller au-devant de Jésus ? »

Cette belle prédiction s’est-elle accomplie ? Paul et les Juifs chrétiens allèrent-ils dans l’air au-devant de Jésus au son de la trompette ? Et où, s’il vous plaît, Paul avait-il appris de Jésus ces merveilleuses choses, lui qui ne l’avait jamais vu, lui qui avait servi de satellite et de bourreau contre ses disciples, lui qui avait aidé à lapider Étienne ? Avait-il parlé à Jésus quand il fut ravi au troisième ciel[2] ? Et qu’est-ce que ce troisième ciel ? est-ce Mercure ou Mars ? En vérité, si on lisait avec attention on serait saisi d’horreur et de pitié à chaque page.

LE CALOYER.

Mais si ce livre fait un tel effet sur les lecteurs, comment a-t-on pu croire à ce livre ? Comment a-t-il converti tant de milliers d’hommes ?

L’HONNÊTE HOMME.

C’est qu’on ne lisait pas. Est-ce par la lecture qu’on persuade à dix millions de paysans que trois font un, que Dieu est dans un morceau de pâte, que cette pâte disparaît, et que c’est Dieu lui-même qui est fait sur-le-champ par un homme ? C’est par la conversation, par la prédication, par les cabales ; c’est en séduisant des femmes et des enfants ; c’est par des impostures, par des récits miraculeux, qu’on vient aisément à bout d’établir un petit troupeau. Les livres des premiers chrétiens étaient très-rares ; il était défendu de les communiquer aux catéchumènes ; on était initié secrètement aux mystères des chrétiens comme à ceux de Cérès. Le petit peuple courait avidement après des gens qui lui per-

  1. Ier aux Thess., iv, 14-16.
  2. IIe aux Corinth., xii, 2.