Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/544

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suadaient que non-seulement tous les hommes étaient égaux, mais qu’un chrétien était bien supérieur à un empereur romain.

Toute la terre était alors divisée en petites associations, égyptiennes, grecques, syriennes, romaines, juives, etc. La secte des chrétiens eut tous les avantages possibles dans la populace. Il suffisait de trois ou quatre têtes échauffées comme celle de Paul pour attirer la canaille. Bientôt après vinrent des hommes adroits qui se mirent à sa tête. Presque tous les sectes se sont ainsi établies, excepté celle de Mahomet, la plus brillante de toutes, qui seule, entre tant d’établissements humains, sembla être en naissant sous la protection de Dieu, puisqu’elle ne dut son existence qu’à des victoires.

Encore la religion musulmane est-elle après douze cents ans ce qu’elle fut sous son fondateur ; on n’y a rien changé. Les lois écrites par Mahomet lui-même subsistent dans toute leur intégrité. Son Alcoran est autant respecté en Perse qu’en Turquie, autant dans l’Afrique que dans les Indes ; on l’observe partout à la lettre ; on n’est divisé que sur le droit de succession entre Ali et Omar. Le christianisme, au contraire, est différent en tout de la religion de Jésus. Ce Jésus, fils d’un charpentier de village, n’écrivit jamais rien ; et probablement il ne savait ni lire ni écrire. Il naquit, vécut, mourut Juif, dans l’observance de tous les rites juifs ; circoncis, sacrifiant suivant la loi mosaïque, mangeant l’agneau pascal avec des laitues, s’abstenant de manger du porc, de l’ixion, et du griffon, comme aussi du lièvre, parce qu’il rumine et qu’il n’a pas le pied fendu, selon la loi mosaïque[1]. Vous autres, au contraire, vous osez croire que le lièvre a le pied fendu et qu’il ne rumine pas, vous en mangez hardiment ; vous faites rôtir un ixion et un griffon quand vous en trouvez ; vous n’êtes point circoncis ; vous ne sacrifiez point ; aucune de vos fêtes ne fut instituée par votre Jésus. Que pouvez-vous avoir de commun avec lui ?

LE CALOYER.

J’avoue que je serais un imposteur bien effronté si j’osais vous soutenir que le christianisme d’aujourd’hui ressemble à celui des premiers siècles, et celui de ces premiers siècles à la religion de Jésus. Mais vous m’avouerez aussi que Dieu a pu ordonner toutes ces variations.

L’HONNÊTE HOMME.

Dieu varier ! Dieu changer ! cette idée me paraît un blas-

  1. Deutéronome, xiv, 7. Voyez la note, page 77.