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566 REMARQUES DE L'ESSAI

dans les déserts de Barca aussi aisément que sur les bords du Nil.

L'auteur de VEssai sur les Mœurs sait très-bien que Guillaume de Nangis, qui écrivait l'histoire comme on l'écrivait alors, pré- tend que le shérif, ou émir, ou bey, ou soldan de Tunis, avait grande envie de se faire chrétien, et qu'il lit espérer au roi, par plusieurs lettres, sa conversion prochaine. Le même Guillaume croit bonnement que saint Louis alla vite mettre à feu et à sang les États de ce prince mahométan pour l'attirer, par cette dou- ceur, à la religion chrétienne. Si c'est là une manière sûre de convertir, on s'en rapporte à tout lecteur éclairé. Apparemment que la maxime « contrains-les d'entrer* » était admise dans la politique comme dans la théologie, et qu'on traitait les musul- mans comme les Albigeois. On peut hardiment n'être pas de l'opinion de Guillaume ; non qu'on le regarde comme un histo- rien infidèle, mais comme un esprit fort simple, qui, quarante ans après la mort de saint Louis, écrivait sans discernement ce qu'il avait entendu dire. Un souverain de Tunis qui veut se faire catholique romain, un roi de France qui vient assiéger sa ville pour l'aider à entrer au giron de l'Église, sont des contes qu'on peut mettre avec les fables du Vieux de la montagne-, et de la couronne d'Egypte présentée au roi de France \ Les entreprises de ces temps-là étaient romanesques ; mais il y avait plus de romanesque encore dans les historiens. Il faut convenir que saint Louis aurait bien mieux fait de gouverner en paix ses États que d'aller exposer au fer des Africains et à la peste sa fille, sa bru, sa belle-sœur et sa nièce, qui firent avec lui ce fatal voyage.

Qu'il soit permis de dire ici que l'abbé Velly, auquel on im- pute cet injuste reproche contre Fauteur de VEssai sw les Mœurs, l'a copié dans quelques endroits, et qu'il aurait pu le citer; de même que le P. Barre, dans son Histoire cV Allemagne, a copié mot pour mot la valeur de cinquante pages de V Histoire de Charles XW" : on est obligé d'en avertir, parce que, lorsque les historiens sont contemporains, il est difficile, au bout de quelque temps, de savoir qui est celui qui a pillé l'autre. Mais n'oublions pas com- bien le droit qu'on réclame est peu de chose.

•^ Remarquons encore que labbé Velly, après avoir critiqué le

��1. Saint Luc, xiv, 23.

2. Voyez tome XVl], pages ■iil-443.

3. Voyez tome XI, page 47 1 .

4. Voyez l'Avertissciiienl do Ueuchol en tôle de VHisloire de Charles XU, tome XVI, page 119.

5. Cet alinéa et le suivant sont posthumes. ( B.)

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