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SUR LES MŒURS. o69

La France a éprouvé des malheurs, s'il se peut, encore plus grands, depuis François II jusqu'à la mort de Henri IV ; et cette mort, toujours sensible aux cœurs bien faits, a été le fruit de ces querelles. Il est triste qu'un si bon arbre ait produit de si détes- tables fruits.

On a souvent agité si l'empereur Henri IV devait secouer le joug de la papauté, au lieu de rester pieds nus dans l'antichambre de Grégoire VII; si Charles-Quint, après avoir pris et saccagé Rome, devait régner dans Rome, et se faire protestant; et si Henri IV, roi de France, pouvait se dispenser de faire abjuration. De bons esprits assurent qu'aucune de ces trois choses n'était possible.

L'empereur Henri IV avait un trop violent parti contre lui, et n'était pas un homme d'un assez grand génie pour faire une révolution. Charles-Quint l'était, mais il n'aurait rien gagné à renoncer à la religion catholique K Pour le roi de France Henri le Grand, il est vraisemblable qu'il ne pouvait prendre d'autre parti que celui qu'il embrassa, quelque humiliation qui y fût attachée. La reine Elisabeth, qui lui en fit des reproches si amers, pouvait bien lui donner des secours pour disputer le terrain de province en province, mais non pas pour conquérir le royaume de France. Il avait contre lui les trois quarts du pays, Philippe II, et les papes : il fallut plier. La facihté de son caractère se joignit à la nécessité où il était réduit. Un Charles XII, un Gustave-Adolphe, eussent été inflexibles; mais ces héros étaient plus soldats que politiques, et Henri IV, avec ses faiblesses, était aussi politique que soldat. Il paraissait impossible qu'il fût roi de France s'il ne se rangeait à la communion de Rome ; de même qu'on ne pourrait aujourd'hui être roi de Suède ou d'Angleterre si l'on n'était pas d'une com- munion opposée à Rome. Henri IV fut assassiné malgré son abju- ration, comme Henri III malgré ses processions : tant la politique est impuissante contre le fanatisme.

La seule arme contre ce monstre, c'est la raison. La seule ma- nière d'empêcher les hommmes d'être absurdes et méchants, c'est de les éclairer. Pour rendre le fanatisme exécrable, il ne faut que le peindre. Il n'y a que des ennemis du genre humain qui puissent dire : « Vous éclairez trop les hommes, vous écrivez trop l'histoire de leurs erreurs. » Et comment peut-on corriger ces erreurs sans les montrer? Quoi! vous dites que les temps du jacobin Jacques Clément ne reparaîtront plus? Je l'avais cru

1. Voyez la note des éditeiu-s de Kehl, tome XII, page 276,

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