Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/79

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POSIDONIUS.

Vous croyez être le maître de vos idées ? Vous savez donc quelles pensées vous aurez dans une heure, dans un quart d’heure?

LUCRÈCE.

J’avoue que je n’en sais rien.

POSIDONIUS.

Vous avez souvent des idées en dormant ; vous faites des vers en rêve; César prend des villes; je résous des problèmes; les chiens de chasse poursuivent un cerf dans leurs songes. Les idées nous viennent donc indépendamment de notre volonté; elles nous sont donc données par une cause supérieure.

LUCRÈCE.

Comment l'entendez-vous? Prétendez-vous que l’Être suprême est occupé continuellement à donner des idées, ou qu’il a créé des substances incorporelles qui ont ensuite des idées par elles-mêmes, tantôt avec le secours des sens, tantôt sans ce secours? Ces substances sont-elles formées au moment de la conception de l’animal? sont-elles formées auparavant, et attendent-elles des corps pour aller s’y insinuer, ou ne s’y logent-elles que quand l’animal est capable de les recevoir? ou enfin est-ce dans l’Être suprême que chaque être animé voit les idées des choses? Quelle est votre opinion?

POSIDONIUS.

Quand vous m’aurez dit comment notre volonté opère sur-le- champ un mouvement dans nos corps, comment votre bras obéit à votre volonté, comment nous recevons la vie, comment nos aliments se digèrent, comment du blé se transforme en sang, je vous dirai comment nous avons des idées. J’avoue sur tout cela mon ignorance. Le monde pourra avoir un jour de nouvelles lumières, mais depuis Thalès jusqu’à nos jours nous n’en avons point. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de sentir notre impuissance, de reconnaître un être tout-puissant, et de nous garder de ces systèmes.

1. Voyez tome XX, pages 431-435.

FIN DES DEUX DIALOGUES.