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164 ARTICLES EXTRAITS

elle l'accompagna et fit le voyage par terre ; elle traversa des pays qu aucune personne de considération n'avait visités avant elle depuis plus de six cents ans. Elle passa par Petervaradin, par les déserts de la Servie, par Philippopolis, par le mont Rho- dope, par Sopliia. Ensuite, lorsqu'elle revint par mer, elle vit avec attention les lieux que VIliade a célébrés. Ainsi, après avoir par- couru la patrie d'Orphée, elle observa le théâtre de la guerre chantée par Homère. Elle voyageait VIliade à la main, et quelque- fois elle paraît animée de son esprit.

Son rang, sa curiosité, et une légère connaissance de la langue turque, lui ouvrirent l'entrée de tout ce qui est fermé et inconnu pour jamais aux étrangers. Elle fut accueillie et très-fêtée par l'épouse du grand vizir, et par la sultane, veuve de l'empereur Mustapha. La magnificence voluptueuse de quelques maisons où l'on s'empressa de la recevoir surpassa tout ce que nous connais- sons d'agréable dans nos climats froids. Elle fut reçue chez la femme du lieutenant du grand vizir par deux eunuques noirs, qui la conduisirent au milieu de deux rangs de jeunes filles, toutes faites comme on peint les divinités, mais moins belles encore que leur maîtresse. Elle fut charmée de leurs danses, et de leur musique, qu'elle compare et paraît préférer à la musique d'Itahe;elle ajoute que leurs voix sont plus touchantes que celles des Italiennes. On croit lire un roman grec en lisant quelques- unes de ces lettres ; mais, ce qui est le contraire du roman, elle rectifie la plupart de nos idées sur les mœurs turques ; elle nous apprend, par exemple, que les femmes de ce pays ont encore plus de li])erté que les nôtres. Elles peuvent aller partout, cou- vertes d'un double voile. Il n'est permis à aucun homme d'oser arrêter une femme voilée, et le mari leplus justement jaloux n'o- serait saisir sa femme dans la rue : ainsi elles peuvent aller en rendez-vous avec la plus entière sécurité.

Les Turcs connaissent la délicatesse de l'amour ; ils font des vers comme nous pour leurs maîtresses. En voici du grand vizir Ibrahim, gendre de l'empereur Achmet III. Ibrahim se plaint que le sultan diffère trop le jour des noces, et que la sultane obéit trop à son père.

STANCES.

I.

« Le rossignol voltige dans les vignes pour y chercher des roses qu'il aime. Je suis venu admirer aussi la beauté des vignes.

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