Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/184

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Il est peut-être difficile de mieux traduire, et cependant vous ne voyez dans ces vers ni la pompe, ni l’élégance, ni la facilité, ni la force de ceux de Racine.

In placido rvposo énerve entièrement ce beau vers :

Mais tout dort, et l’armée, et les vents, et Neptune.

Cette césure si expressive, mais tout dort, n’est point rendue : il vento, le vent, ne fait pas le même effet que les vents, La marina est loin de signifier Neptune, que le poëte représente ici comme endormi, sans affecter pourtant une figure poétique. Neptune à la fin d’un vers est une image et une expression bien supérieure au terme vent. Que de beautés pour ceux qui sont un peu initiés aux mystères de l’art ! Elles sont toutes perdues dans la traduction.

C’est ainsi que nous n’avons jamais pu bien traduire les belles scènes du Pastor fido. La difficulté qui naît de la rime peut en partie en avoir été cause ; mais que dans une langue aussi abondante que l’italienne on ne puisse parfaitement traduire en vers blancs nos vers rimes, qu’on ne puisse, avec la plus grande liberté, imiter la facilité d’un auteur enchaîné par le retour des mêmes sons, c’est là . ce qui paraît étonnant ; et l’on ne peut, ce semble, en rendre raison qu’en avouant que celui qui invente, quelque gêné qu’il soit, paraît toujours plus à son aise que celui qui imite. En un mot, on ne traduit point le génie.

Le cavalier Guazzesi rend très-fidèlement ce vers d’Alzire ^:

Votre hymen est le nœud qui joindra les deux mondes.

Le tue nozze, o figlio, Tosto uniranno il gemino emispero.

Mais vos noces, ô mon fUs, uniront bientôt les deux hèmisplieres , n’exprime point ce nœud qui joint les deux mondes : car ce nœud qui les joint fait une image qui ne se trouve pas dans la traduction, et le mot tosto, bientôt, affaiblit l’idée.

Il arrive donc qu’avec la chaîne de la rime on marche quel- quefois d’un pas plus sûr qu’en se délivrant de cette servitude, et c’est de là qu’on peut conclure que la rime, qui présente à chaque moment le mérite d’une grande difficulté surmontée, est absolument nécessaire à la poésie française.

1. Acte I, scène i.