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LETTRE D’UN QUAKER.

Moïse n’a pas pu prescrire des règles aux rois, puisqu’ils n’existèrent point de son temps ; qu’il n’a pu donner à des villes les noms qu’elles n’eurent que longtemps après lui ; qu’il n’a pu placer à l’orient des villes qui étaient à l’occident par rapport à Moïse et à son peuple vivant dans le désert. Tu devais savoir quelle langue parlaient alors les Juifs ; comment on avait gravé sur la pierre tout le Pentateuque : ce qui était une entreprise prodigieuse dans un désert où tout manquait. Tu devais résoudre mille difficultés de cette nature, et alors ton livre eût pu être utile comme celui de notre savant évêque de Worcester[1] ; mais il faudrait savoir l’hébreu comme lui.

Tu te bornes à dire que Moïse sépara les eaux de la mer à la vue de six cent mille hommes : le moindre écolier le sait comme toi ; ton devoir était de montrer comment les Juifs, descendants de Jacob, se trouvaient, au bout de deux siècles, au nombre de six cent mille combattants, ce qui fait plus de deux millions de personnes ; comment ils n’attaquèrent pas les Égyptiens, qui, au rapport de Diodore de Sicile, n’ont pas été, sous les Ptolémées, plus de trois millions d’âmes, et qui ne passent pas aujourd’hui ce nombre.

De ces trois millions, qui pouvaient composer six cent mille familles, tous les premiers-nés avaient été frappés de mort par l’ange du Seigneur ; l’Égypte n’avait certainement pas, après cette perte, six cent mille combattants à opposer aux Israélites. Tu nous aurais appris pourquoi ils prirent la fuite au lieu de s’emparer de l’Égypte ; pourquoi, en prenant la fuite, ils se trouvèrent vis-à-vis de Memphis, au lieu de côtoyer la Méditerranée : c’est ce que notre fameux Taylor[2] a merveilleusement expliqué ; mais il connaissait parfaitement l’Arabie et l’Égypte.

Tu nous aurais enseigné comment, en faisant un long détour pour arriver entre Memphis et Baal-Sephon, endroit où la mer

  1. Voltaire, dans sa lettre à d’Argence de Dirac, du 11 octobre 1763, donne à Warburton le titre d’évêque de Worcester. C’est donc de Warburton qu’il veut parler ici, puisque Warburton est l’auteur de the Divine Legation of Moses demonstrated (la Divine Légation de Moïse démontrée), 1738, trois volumes in-8o ; 1766, cinq volumes in-8o. Mais Warburton était évêque de Glocester, et non de Worcester ; Voltaire a plusieurs fois commis cette faute, mais pas toujours (voyez tome XVII, pages 1 et 143 ; et, plus loin, le chapitre xiii de la Défense de mon oncle). (B.)

    — Il s’agit ici de Stillingfleet, né en 1635, mort en 1699, auteur d’un célèbre Exposé des fondements de la religion naturelle et révélée. (G. A.)

  2. Voyez, sur Taylor, les Lettres à Son Altesse monseigneur le prince de ***, et, sur toutes ces questions bibliques, la Bible expliquée.