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482 ARTICLES EXTRAITS

sont remplies. Il n'y a rien de si attachant dans les Cassandre, les Clèopâtre, les Cyms, les Clélie\ que les événements de nos der- niers siècles.

La découverte et la conquête du nouveau monde, les malheurs et la mort épouvantable de Marie Stuart, et de Charles I", son petit-fils ; les infortunes de tant d'autres princes, les aventures et le caractère de Charles XII, un nombre prodigieux de calamités horribles qu'un faiseur de fables n'aurait osé feindre; tous ces grands tableaux qui intéressent le genre humain, étant peints depuis quelques années par des génies qui ont su plaire, ont fait tomber les grands romans écrits dans un temps où l'on n'avait aucune bonne histoire ni en français ni en anglais.

Les romans tragiques ont donc disparu, et on a été inondé d'historiettes, du genre de la comédie, dans lesquelles on trouve mille petits portraits amusants de la vie commune.

On ne lisait guère dans l'Europe les romans anglais avant Pamèla. Ce genre parut très-piquant ; Clarisse eut moins de succès, et en méritait cependant davantage. Les romans de Fielding pré- sentèrent ensuite d'autres scènes, d'autres mœurs, un autre ton : ils plurent, parce qu'ils avaient de la vérité et de la gaieté; le succès des uns et des autres en a fait éclore ensuite une foule de mauvaises copies qui n'ont pas fait oublier les premiers, mais en ont sensiblement diminué le goût.

Il se trouve toujours des auteurs qui font, pour occuper le .-^loisir de tant de personnes désœuvrées, ce que font les marchands qui inventent chaque jour des modes nouvelles pour flatter la vanité et amuser la fantaisie.

Ce goût pour les romans est plus vif en France et en Angle- terre que chez les autres nations. Il prouve que Paris et Londres sont remplis d'hommes oisifs, qui n'ont d'autre besoin que celui de s'amuser. Les femmes surtout donnent la vogue à ces ouvrages, qui les entretiennent de la seule chose qui les intéresse. Ce qui est remarquable, c'est que ces livres de pur agrément ont plus de lecteurs en Angleterre qu'en France. Pour peu qu'un roman, une tragédie, une comédie ait de succès à Londres, on en fait trois et quatre éditions en peu de mois : c'est que l'état mitoyen est plus riche et plus instruit en Angleterre qu'en France, et qu'un très- grand nombre de familles anglaises passent neuf mois de l'année

��i. Cassandre, en dix volumes, et Clèopâtre, en douze volumes, sont de La Calprenède. C'est à M"'= de Scudéry que l'on doit Artamène, ou le grand Cyrus, en dix volumes, et délie, aussi en dix volumes.

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