Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

206 ARTICLES EXTRAITS

geances. « Dieu est assis sur les nuées comme sur son char * ; il vole sur les ailes des vents ; les foudres dévorants sont ses minis- tres, » Quand les prophètes annoncent aux Juifs la guerre, la famine, et les fléaux que leur prépare la colère de Dieu, c'est presque toujours sous l'image du houlcversement du monde. Cette figure est terrible dans Jérémie, lorsqu'il prédit la déso- lation de la Judée. « Je regardai la terre S et je la vis informe et inhabitée. Je vis les montagnes, arrachées de leurs fondements, s'agiter et s'entre-choquer. Pas un homme ne s'offrit à mes regards; les oiseaux du ciel avaient disparu. Je levai les yeux vers le firmament ; ses flambeaux étaient éteints ; tout se consumait au feu dévorant de la colère de Jéhovah. » Les poètes profanes n'ont point de tableau plus imposant et plus vigoureux.

Les poètes sacrés sont particulièrement attentifs à observer le caractère particulier et distinctif des objets qu'ils décrivent. Ils parlent très-souvent du Liban et du Garmel, mais ils ne citent pas indifféremment ces deux montagnes. Le Liban avec ses cèdres élevés sert à représenter la grandeur de l'homme, tandis que le Carmel, couvert de vignes, d'oliviers, et d'arbrisseaux, est employé à peindre la délicatesse, la grâce, et la beauté de la femme.

Les comparaisons ne sont faites que pour donner plus de force ou de clarté à une idée; les poètes ne devraient donc prendre pour terme de comparaison que des objets connus à leurs lecteurs. Il semble que Virgile ait manqué à cette règle lorsque, dans le douzième livre de son Énèide ^ il compare Énée au mont Athos et au mont Éryx, montagnes étrangères que les Romains ne connaissaient guère ; mais il faut observer qu'il ne fait que les nommer, au lieu qu'en y ajoutant aussitôt l'Apennin il le peint des plus vives couleurs.

Quantus Athos, aut quantus Eryx, aut ipse coruscis Cum frémit ilicibus quantus, gaudetque nivali Vertice se attollens pater Apenninus ad auras.

Cette différence est remarquable; plus on étudie ce grand poète, plus on admire le goût sage et profond qui règne dans ses poésies. Il n'y a rien de si commun dans les ouvrages des poètes modernes que d'y voir peints des objets que ni eux, ni leurs lec-

1. Psaume cm, vers. 3 et 4.

2. Jérémie, iv, 23-26.

3. Vers 701-703.

�� �