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218 ARTICLES EXTRAITS

Il résulte du dénombrement de la France fait par les inten- dants du royaume, en 1698, que la France a six cent trente-six personnes par lieue carrée.

Or si la lieue carrée de France, qui est à la lieue carrée de Suède comme un est à quatre et deux tiers environ, a six cent trente-six habitants, et la lieue carrée suédoise en a douze cent quarante-huit, il est clair que la lieue carrée de Gothie, qui devrait avoir quatre fois et deux tiers autant de colons, en nourrit à peine le double : donc la même étendue de terrain en France a plus de la moitié^ de colons ou d'habitants que la même étendue n'en a dans la Gothie.

Cette prodigieuse supériorité d'un pays sur un autre peut-elle, avec le temps, être réduite à l'égalité? Oui, si les habitants du climat disgracié peuvent trouver le secret de changer la nature de leur sol, et de se rapprocher du tropique.

Le pays pourrait-il être peuplé du double, du triple? Oui, si l'on faisait deux fois, trois fois plus d'enfants ; mais qui les nour- rirait, si la terre ne rend pas deux ou trois fois davantage?

Au défaut d'une récolte triple pour nourrir ce triple d'habi- tants, il faudrait donc avoir un commerce par le bénéfice duquel on pût acquérir deux ou trois fois plus de denrées qu'on n'en consomme aujourd'hui. Mais comment faire ce commerce avan- tageux, si la nature refuse de quoi exporter à l'étranger?

La commission établie pour rendre compte aux états assem- blés de la dépopulation de la Suède affirme dans son Mémoire, sur des preuves historiques, que le pays était, il y a trois cents ans, presque trois fois plus peuplé qu'aujourd'hui. Il est de l'in- térêt de tous les hommes de connaître les preuves de cette étrange assertion : se pourrait-il que la Suède, sans commerce, sans industrie, et plus mal cultivée qu'à présent, eût pu nourrir trois fois plus d'habitants ?

Il paraît que les pays du nord n'ont jamais été plus peuplés qu'ils ne le sont, parce que la nature a toujours été la même.

César, dans ses Commentaii^es , dit que les Helvétiens, désertant leur pays pour aller s'établir vers la Saintonge, partirent tous au nomiore de trois cent soixante et huit mille personnes. Je ne crois pas que l'Helvétie en ait aujourd'hui davantage, et si elle rap- pelait tous ses citoyens répandus dans les pays étrangers, je doute qu'elle eût de quoi leur fournir des aliments.

��1. Dans les éditions de Kehl, et dans les autres réimpressions, on a mis la moitié plus de colons : ce qui certainement est mieux. (B.)

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