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AVERTISSEMENT.

Antoine, au contraire, était grave, profond, et sérieux, comme le prouve son Discours aux Welches ; il n’aimait à s’occuper que de choses utiles. La gloire de la nation et le bien public l’intéressaient par-dessus tout ; il s’affligeait des abus qui empêchent l’un et l’autre, et plus encore de ce que ceux qui voulaient les réformer ne commençaient pas par se réformer eux-mêmes. Il disait que quiconque veut corriger les autres doit se souvenir de l’oracle d’Apollon, et qu’il ne sied pas, lorsqu’on laisse brûler sa maison, de dire des injures à son voisin parce que le feu prend à la sienne.

On ajoute même qu’il travaillait, depuis plusieurs années, à un grand ouvrage sur les dangers de la libre sortie des grains à l’étranger, dans lequel il prouvait invinciblement qu’il en doit être des blés du pays de Frankreich comme il en était autrefois des figues d’Athènes, et qu’il vaut infiniment mieux, pour les Welches, mourir de faim sur les blés entassés par monceaux que de souffrir qu’ils soient achetés, payés, et mangés par les étrangers.

On ne peut assez regretter la perte de cet ouvrage, qui était fort avancé lorsque Antoine Vadé est mort. Il serait d’un grand secours aujourd’hui pour désabuser certains esprits de travers, entichés des avantages de cette liberté, et qui croient qu’il ne peut y avoir aucun inconvénient à permettre qu’une nation s’enrichisse par le commerce des productions de son sol ; mais malheureusement Mlle  Catherine Vadé, qui en a trouvé le manuscrit, ne sachant pas ce que c’était, en a fait des patrons de manchettes, et ne nous a donné que le Discours aux Welches.

C’est à l’occasion de ce Discours qu’un de mes amis, qui l’a toujours été comme il le dit lui-même, de la famille Vadé, m’a envoyé le récit suivant d’une conversation à laquelle il s’est trouvé, et qui peut servir de supplément au Discours.

Les Welches qui ne sont pas Welches ne seront point fâchés de voir ce supplément, et peut-être inspirera-t-il à ceux qui le sont encore le désir de cesser de l’être.

Au reste, Mlle  Catherine Vadé assure que son cousin Antoine pensait que les Welches étaient les ennemis de la raison et du mérite, les fanatiques, les sots, les intolérants, les persécuteurs et les calomniateurs ; que les philosophes, la bonne compagnie, les véritables gens de lettres, les artistes, les gens aimables enfin, étaient les Français, et que c’était à eux à se moquer des autres, quoiqu’ils ne fussent pas les plus nombreux. Cette déclaration doit justifier pleinement la mémoire de notre illustre auteur des