Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
251
SUPPLÉMENT DU DISCOURS AUX WELCHES.

reproches qu’on lui faisait de nous avoir dit nos vérités avec trop peu de ménagement.



SUPPLÉMENT
DU DISCOURS AUX WELCHES.

J’ai toujours été fort attaché à la famille des Vadé, et surtout à Mlle  Catherine Vadé, chez qui je me trouvais avec quelques amis, le jour que feu Antoine Vadé nous lut son Discours aux Welches. « Vous avez bien de l’humeur, mon cousin, lui dit Catherine. — Il est vrai que je suis en colère, répondit Antoine ; je trouverai toujours un cul-de-sac horriblement welche, et je ne m’apaiserai que quand on aura substitué quelque mot français honnête à cette expression grossière. Et comment voulez-vous qu’une nation puisse subsister avec honneur quand on imprime je croyois, j’octroyois, et qu’on prononce, je croyais, j’octroyais ? Comment un étranger pourra-t-il deviner que le premier o se prononce comme un o, et le second comme un a ? Pourquoi ne pas écrire comme on parle ? Cette contradiction ne se trouve ni dans l’espagnol, ni dans l’italien, ni dans l’allemand ; c’est ce qui m’a le plus choqué : car il m’importe peu que ce soit un Allemand ou un Chinois qui ait inventé la poudre, et que je doive des remerciements à Goia de Melfi ou à Roger Bacon pour les lunettes que je porte sur le nez ; mais un cul-de-sac, et tous ces termes populaires qui défigurent une langue, me donnent un mortel chagrin. »

Catherine Vadé, voyant qu’il s’échauffait, lui promit que le gouvernement mettrait ordre à ces abus, et qu’il ne se passerait pas trois cents ans avant qu’ils fussent réformés. Cela consola le bon Antoine. Il était comme l’abbé de Saint-Pierre, qui se croyait payé de toutes ses peines quand on lui laissait entrevoir qu’un de ses projets pourrait être exécuté dans sept ou huit siècles. Jérôme Carré, le voyant apaisé, lui dit : « Mon cher Antoine, ne vous plaignez plus que les belles inventions ne viennent pas de vos compatriotes : nous avons un excellent citoyen[1] qui a promis de dessaler l’eau de la mer, et quand il n’y parviendrait pas, il serait tou-

  1. Pierre-Isaac Poissonnier des Perrières, né à Dijon en 1720, mort en 1798 ; voyez ci-dessus, la note de la page 249.