Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/272

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allaient saisir des drogues et du vert-de-gris que les jésuites de la rue St-Antoine vendaient en contrebande; mon voisin monsieur Husson, qui est une bonne tête, est venu chez moi, et m'a dit: "Mon ami, vous riez de voir les jésuites vilipendés; vous êtes bien aise de savoir qu'ils sont convaincus d'un parricide au Portugal, et d'une rébellion au Paraguay; le cri public qui s'élève en France contre eux, la haine qu'on leur porte, les opprobres multipliés dont ils sont couverts, semblent être pour vous une consolation; mais sachez que, s'ils sont perdus comme tous les honnêtes gens le désirent, vous n'y gagnerez rien: vous serez accablé par la faction des jansénistes. Ce sont des enthousiastes féroces, des âmes de bronze, pires que les presbytériens qui renversèrent le trône de Charles Ier. Songez que les fanatiques sont plus dangereux que les fripons. On ne peut jamais faire entendre raison à un énergumène; les fripons l'entendent."

Je disputai longtemps contre monsieur Husson; je lui dis enfin: "Monsieur, consolez-vous; peut-être que les jansénistes seront un jour aussi adroits que les jésuites." Je tâchai de l'adoucir; mais c'est une tête de fer qu'on ne fait jamais changer de sentiment.

III

Brioché, voyant que Polichinelle était bossu par-devant et par-derrière, lui voulut apprendre à lire et à écrire. Polichinelle, au bout de deux ans, épela assez passablement; mais il ne put jamais parvenir à se servir d'une plume. Un des écrivains de sa vie remarque qu'il essaya un jour d'écrire son nom, mais que personne ne put le lire.

Brioché était fort pauvre; sa femme et lui n'avaient pas de quoi nourrir Polichinelle, encore moins de quoi lui faire apprendre un métier. Polichinelle leur dit: "Mon père et ma mère, je suis bossu, et j'ai de la mémoire; trois ou quatre de mes amis et moi, nous pouvons établir des marionnettes: je gagnerai quelque argent; les hommes ont toujours aimé les marionnettes; il y a quelquefois de la perte à en vendre de nouvelles, mais aussi il y a de grands profits."

Monsieur et madame Brioché admirèrent le bon sens du jeune homme; la troupe se forma, et elle alla établir ses petits tréteaux dans une bourgade suisse, sur le chemin d'Appenzel à Milan.