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ÉRASME, ET RABELAIS. 341

ÉRASME.

Ils étaient on Europe environ six à sept cent mille.

LUCIEN.

Juste ciel ! le monde est donc devenu bien sot et bien barbare depuis que je l'ai quitté ! Horace l'avait bien dit que tout irait en empirant :

Progeniem vitiosiorem.

(Liv. m, od. VI, V. dern.) ÉRASME.

Ce qui me console, c'est que tous les hommes, dans le siècle où j'ai vécu, étaient montés au dernier échelon de la folie ; il faudra bien qu'ils en descendent, et qu'il y en ait quelques-uns parmi eux qui retrouvent enfin un peu de raison.

LUCIEN.

C'est de quoi je ^doute fort. Dites-moi, je vous prie, quelles étaient les principales folies de votre temps.

ÉRASME.

Tenez, en .voici une liste que je porte toujours avec moi; lisez.

LUCIEN.

Elle est bien longue.

(Lucien lit, et éclate de rira; Rabelais survient) RABELAIS.

Messieurs, quand on rit je ne suis pas de trop ; de quoi s'a- git-il?

LUCIEN et ÉRASME.

D'extravagances.

RABELAIS.

Ah ! je suis votre homme.

LUCIEN, à Érasme.

Quel est cet original ?

ÉRASME.

C'est un homme qui a été plus hardi que moi et plus plai- sant ; mais il n'était que prêtre, et pouvait prendre plus de liberté que moi, qui étais moine.

LUCIEN, à Rabelais.

Avais-tu fait, comme Érasme, vœu de vivre aux dépens d'autrui ?

RABELAIS.

Doublement, car j'étais prêtre et médecin. J'étais né fort sage, je devins aussi savant qu'Érasme ; et, voyant que la sagesse et la science ne menaient communément qu'à l'hôpital ou au gibet ;

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