Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/377

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miracles pour substituer le christianisme au judaïsme, on ne doit pas incidenter sur la manière dont Dieu les a opérés ; il est également le maître de la fin et des moyens. Si un médecin vous guérit, lui reprocherez-vous la manière dont il s’y est pris pour vous guérir ? Vous êtes étonnés, par exemple, que les apôtres aient guéri des malades par leur ombre[1] ; vous dites que l’ombre n’est que la privation de la lumière, que le néant n’a point de propriété. Cette objection tombe dès que vous convenez de la puissance des miracles. Elle n’aurait quelque poids que dans ceux qui disent que Dieu ne peut faire des miracles inutiles ; et c’est ce qu’il faut examiner.

Les prodiges de Jésus et des apôtres paraissent inutiles à nos contradicteurs. Le monde, disent-ils, n’en a pas été meilleur ; la religion chrétienne, au contraire, a rendu les hommes plus méchants, témoin les massacres des manichéens, des ariens, des athanasiens, des vaudois, des albigeois, témoin tant de schismes sanglants, témoin enfin la Saint-Barthélémy ; mais c’est là l’abus de la religion chrétienne, et non son institution. En vain vous dites que l’arbre qui porte toujours de tels fruits est un arbre de mort ; il est un arbre de vie pour le petit nombre des élus qui constituent l’Église triomphante : c’est donc en faveur de ce petit nombre des élus que tous les miracles ont été faits. S’ils ont été inutiles à la plus grande partie des hommes, qui est corrompue, ils ont été utiles aux saints. Mais fallait-il, dites-vous, que Dieu vint sur la terre et qu’il mourût pour laisser presque tous les hommes dans la perdition ? À cela je n’ai rien à répondre, sinon : Soyez juste, et vous ne serez point réprouvé. — Mais, si j’avais été juste sans être racheté, serais-je réprouvé ? — Ce n’est point à moi d’entrer dans les secrets de Dieu, et je ne puis que me recommander avec vous à sa miséricorde.

La mort d’Ananie et de Saphire[2] vous scandalise ; vous êtes effrayé que Pierre fasse un double miracle pour faire mourir subitement la femme après l’époux, qui ne sont coupables que de n’avoir pas donné tout leur bien à l’Église, et d’en avoir retenu quelques oboles pour leurs nécessités pressantes sans l’avoir avoué ; vous osez prétendre que ce miracle a été inventé pour forcer les pères de famille à se dépouiller de tout en faveur des prêtres : vous vous trompez ; c’était un vœu fait à Dieu même : Dieu est le maître de punir les violateurs des serments.

  1. Actes, v, 15.
  2. Actes, v, 1 et suiv.