Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/391

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pagnes ont été couvertes de cadavres pendant ces guerres, les villes ont été hérissées d’échafauds pendant la paix. Il semble que les pharisiens, en assassinant le Dieu des chrétiens sur la croix, aient appris à ses suivants à s’assassiner les uns les autres sous le glaive, sur la potence, sur la roue, dans les flammes. Persécutés et persécuteurs, martyrs et bourreaux tour à tour, également imbéciles, également furieux, ils tuent et ils meurent pour des arguments dont les prélats et les moines se moquent en recueillant les dépouilles des morts, et l’argent comptant des vivants. »

Je vis que ce seigneur s’échauffait ; je lui répondis humblement ce que j’ai déjà soumis à vos lumières dans ma seconde lettre, qu’il ne faut pas prendre l’abus pour la loi. « Jésus-Christ, lui dis-je, n’a commandé ni le meurtre de Jean Hus, ni celui d’Anne Dubourg, ni celui de Servet, ni celui de Jean Calas, ni les guerres civiles, ni la Saint-Barthélémy. »

Je vous avouerai, monsieur, qu’il ne fut point du tout content de cette réponse. « Ce serait, me dit-il, insulter à ma raison et à mon malheur de vouloir me persuader qu’un tigre qui aurait dévoré tous mes parents ne les aurait mangés que par abus, et non par la cruauté attachée à sa nature. Si la religion chrétienne n’avait fait périr qu’un petit nombre de citoyens, vous pourriez imputer ce crime à des causes étrangères.

« Mais que pendant quatorze à quinze siècles entiers chaque année ait été marquée par des meurtres, sans compter les troubles affreux des familles, les cachots, les dragonnades, les persécutions de toute espèce, pires peut-être que le meurtre même ; que ces horreurs aient toujours été commises au nom de la religion chrétienne, qu’il n’y ait d’exemple de ces abominations que chez elle seule : alors quel autre qu’elle-même pouvons-nous en accuser ? Tous ces assassinats de tant d’espèces différentes n’ont eu qu’elle pour sujet et pour objet : elle en a donc été la cause. Si elle n’avait pas existé, ces horreurs n’auraient pas souillé la terre. Les dogmes ont amené les disputes, les disputes ont produit les factions, ces factions ont fait naître tous les crimes. Et vous osez dire que Dieu est le père d’une religion[1] barbare engraissée de nos biens et teinte de notre sang, tandis qu’il lui était si aisé de nous en donner une aussi douce que vraie, aussi indulgente que claire, aussi bienfaisante que démontrée ! »

Vous ne sauriez croire quel enthousiasme d’humanité et de

  1. Le mot religion ne se trouve ni dans l’édition originale, ni dans les réimpressions de 1765, 1767, 1775 ou encadrée, et 1777 in-4o. (B.)