Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/395

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mais n’aurez-vous pas à trembler dans ce moment fatal, vous qui, pour le vain plaisir de me subjuguer, m’avez voulu faire croire des choses dont il est impossible que vous soyez convaincu ? »

Je voulais répliquer, car j’avais de bonnes raisons à dire ; mais il ne voulut pas les écouter ; il me quitta : je sentis que c’était de peur de se mettre en colère et de me fâcher : je vis qu’il ne voulait dégrader ni sa raison ni la mienne. Je fus touché de cette bonté pour moi, et de cet effort qu’il faisait contre les mouvements d’une passion si commune[1].

Il faut qu’il croie que Dieu est né dans le petit canton de la Judée ; qu’il y a changé l’eau en vin ; qu’il s’est transfiguré sur le Thabor ; qu’il a été tenté par le diable ; qu’il a envoyé une légion de diables dans un troupeau de cochons ; que l’ânesse de Balaam a parlé aussi bien que le serpent ; que le soleil s’est arrêté à midi sur Gabaon, et la lune sur Aïalon, pour donner le temps aux bons Juifs de massacrer une douzaine ou deux de pauvres innocents qu’une pluie de grosses pierres avait déjà assommés ; que dans l’Égypte, où il n’y avait point de cavalerie, le Pharaon, dont on ne dit pas le nom, poursuivit trois millions d’Hébreux avec une nombreuse cavalerie, après que l’ange du Seigneur avait tué toutes les bêtes, etc., etc., etc., etc., etc. Il faut que sa raison soumise ait une foi vive pour tous ces mystères ; sans cela que lui servirait sa vertu ?

Je sais, monsieur, que cette énumération des miracles qu’on doit croire peut effaroucher quelques âmes pieuses, et paraître ridicule aux incrédules ; mais je n’ai point craint de les rapporter,

  1. Dans les éditions de 1765, 1767, cette troisième lettre se terminait par le passage que voici :

    « J’ai demeuré depuis ce moment en proie à mes réflexions ; j’ai tremblé qu’ayant voulu convertir ce brave homme ce ne fut lui qui me convertît. Je ne pouvais repousser de mon cœur ses dernières paroles ; je me disais à moi-même : Le Dieu de bonté et de miséricorde exigerait-il en effet de nous des raisonnements subtils plutôt que des actions vertueuses ? ne vaut-il pas mieux cent fois, comme l’a dit ce bon seigneur, secourir le pauvre et défendre l’opprimé que de discuter des faits obscurs passés il y a deux mille ans ? Je suis bien certain qu’on ne peut pas déplaire à Dieu en faisant de bonnes œuvres : suis-je aussi certain qu’on peut lui plaire par des arguments de l’école ? Que vous dirai-je enfin ? mon âme est bouleversée. J’avais commencé par vous prier de m’appuyer contre ce seigneur, qui m’inspire de la vénération, et je finis par vous conjurer de me secourir contre moi-même. »

    Dans une édition de 1767 qui ne contient que seize lettres, les trois alinéas ajoutés dans la réimpression de 1765 manquent, ainsi que l’alinéa transcrit en cette note ; mais cette petite et incomplète édition de 1767 contient les trois alinéas qui terminent la lettre, et qui sont dans l’édition originale. (B.)