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CHAPITRE IV.

proscrivit le grand Henri IV. On ne recherchera pas sans doute les autres corps du royaume, qui commirent les mêmes excès dans ces temps de frénésie : cela serait non-seulement injuste ; mais il y aurait autant de folie qu’à purger tous les habitants de Marseille parce qu’ils ont eu la peste en 1720.

Irons-nous saccager Rome, comme firent les troupes de Charles-Quint, parce que Sixte-Quint, en 1585, accorda neuf ans d’indulgence à tous les Français qui prendraient les armes contre leur souverain ? Et n’est-ce pas assez d’empêcher Rome de se porter jamais à des excès semblables ?

La fureur qu’inspirent l’esprit dogmatique et l’abus de la religion chrétienne mal entendue a répandu autant de sang, a produit autant de désastres, en Allemagne, en Angleterre, et même en Hollande, qu’en France : cependant aujourd’hui la différence des religions ne cause aucun trouble dans ces États ; le juif, le catholique, le grec, le luthérien, le calviniste, l’anabaptiste, le socinien, le mennonite, le morave, et tant d’autres, vivent en frères dans ces contrées, et contribuent également au bien de la société.

On ne craint plus en Hollande que les disputes d’un Gomar[1] sur la prédestination fassent trancher la tête au grand pensionnaire. On ne craint plus à Londres que les querelles des presbytériens et des épiscopaux, pour une liturgie et pour un surplis, répandent le sang d’un roi sur un échafaud[2]. L’Irlande peuplée

  1. François Gomar était un théologien protestant ; il soutint, contre Arminius son collègue, que Dieu a destiné de toute éternité la plus grande partie des hommes à être brûlés éternellement : ce dogme infernal fut soutenu, comme il devait l’être, par la persécution. Le grand pensionnaire Barneveldt, qui était du parti contraire à Gomar, eut la tête tranchée à l’âge de soixante-douze ans, le 13 mai 1019, « pour avoir contristé au possible l’Église de Dieu ». (Note de Voltaire.)
  2. Un déclamateur, dans l’apologie de la révocation de l’édit de Nantes, dit en parlant de l’Angleterre : « Une fausse religion devait produire nécessairement de tels fruits ; il en restait un à mûrir, ces insulaires le recueillent, c’est le mépris des nations. » Il faut avouer que l’auteur prend bien mal son temps pour dire que les Anglais sont méprisables et méprisés de toute la terre. Ce n’est pas, ce me semble, lorsqu’une nation signale sa bravoure et sa générosité, lorsqu’elle est victorieuse dans les quatre parties du monde, qu’on est bien reçu à dire qu’elle est méprisable et méprisée. C’est dans un chapitre sur l’intolérance qu’on trouve ce singulier passage ; ceux qui prêchent l’intolérance méritent d’écrire ainsi. Cet abominable livre, qui semble fait par le fou de Verberie, est d’un homme sans mission : car quel pasteur écrirait ainsi ? La fureur est poussée dans ce livre jusqu’à justifier la Saint-Barthélemy. On croirait qu’un tel ouvrage, rempli de si affreux paradoxes, devrait être entre les mains de tout le monde, au moins par sa singularité ; cependant à peine est-il connu. (Note de Voltaire.) — Le déclamateur objet de cette note est l’abbé de Caveyrac, qui, à la page 302 de son Apo-