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CHAPITRE IV.

cèse des calvinistes, et que c’est là le plus grand obstacle à la tolérance ; je ne le puis croire. Le corps des évêques, en France, est composé de gens de qualité qui pensent et qui agissent avec une noblesse digne de leur naissance ; ils sont charitables et généreux, c’est une justice qu’on doit leur rendre ; ils doivent penser que certainement leurs diocésains fugitifs ne se convertiront pas dans les pays étrangers, et que, retournés auprès de leurs pasteurs, ils pourraient être éclairés par leurs instructions et touchés par leurs exemples : il y aurait de l’honneur à les convertir, le temporel n’y perdrait pas, et plus il y aurait de citoyens, plus les terres des prélats rapporteraient.

Un évêque de Varmie, en Pologne, avait un anabaptiste pour fermier, et un socinien pour receveur ; on lui proposa de chasser et de poursuivre l’un, parce qu’il ne croyait pas la consubstantialité, et l’autre, parce qu’il ne baptisait son fils qu’à quinze ans : il répondit qu’ils seraient éternellement damnés dans l’autre monde, mais que, dans ce monde-ci, ils lui étaient très-nécessaires.

Sortons de notre petite sphère, et examinons le reste de notre globe. Le Grand Seigneur gouverne en paix vingt peuples de différentes religions ; deux cent mille grecs vivent avec sécurité dans Constantinople ; le muphti même nomme et présente à l’empereur le patriarche grec ; on y souffre un patriarche latin. Le sultan nomme des évêques latins pour quelques îles de la Grèce[1], et voici la formule dont il se sert : « Je lui commande d’aller résider évêque dans l’île de Chio, selon leur ancienne coutume et leurs vaines cérémonies. » Cet empire est rempli de jacobites, de nestoriens, de monothélites ; il y a des cophtes, des chrétiens de Saint-Jean, des juifs, des guèbres, des banians. Les annales turques ne font mention d’aucune révolte excitée par aucune de ces religions.

Allez dans l’Inde, dans la Perse, dans la Tartarie, vous y verrez la même tolérance et la même tranquillité, Pierre le Grand a favorisé tous les cultes dans son vaste empire ; le commerce et l’agriculture y ont gagné, et le corps politique n’en a jamais souffert.

Le gouvernement de la Chine n’a jamais adopté, depuis plus de quatre mille ans qu’il est connu, que le culte des noachides, l’adoration simple d’un seul Dieu : cependant il tolère les superstitions de Fô, et une multitude de bonzes qui serait dange-

  1. Voyez Ricaut. (Note de Voltaire.)