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DU CHEVALIER DE LA BARRE.

soin de faire des réflexions sur un événement si affreux, si étrange, et devant lequel tout ce qu’on nous conte des prétendus supplices des premiers chrétiens doit disparaître. Dites-moi quel est le plus coupable, ou un enfant qui chante deux chansons réputées impies dans sa seule secte, et innocentes dans tout le reste de la terre, ou un juge qui ameute ses confrères pour faire périr cet enfant indiscret par une mort affreuse.

Le sage et éloquent marquis de Vauvenargues a dit[1] : « Ce qui n’offense pas la société n’est pas du ressort de la justice. » Cette vérité doit être la base de tous les codes criminels : or certainement le chevalier de La Barre n’avait pas nui à la société en disant une parole imprudente à un valet, à une tourière, en chantant une chanson. C’étaient des imprudences secrètes dont on ne se souvenait plus ; c’étaient des légèretés d’enfant oubliées depuis plus d’une année, et qui ne furent tirées de leur obscurité que par le moyen d’un monitoire qui les fit révéler, monitoire fulminé pour un autre objet, monitoire qui forma des délateurs, monitoire tyrannique, fait pour troubler la paix de toutes les familles.

Il est si vrai qu’il ne faut pas traiter un jeune homme imprudent comme un scélérat consommé dans le crime que le jeune M. d’Étallonde, condamné par les mêmes juges à une mort encore plus horrible, a été accueilli par le roi de Prusse et mis au nombre de ses officiers ; il est regardé par tout le régiment comme un excellent sujet : qui sait si un jour il ne viendra pas se venger de l’affront qu’on lui a fait dans sa patrie ?

L’exécution du chevalier de La Barre consterna tellement tout Abbeville, et jeta dans les esprits une telle horreur, que l’on n’osa pas poursuivre le procès des autres accusés.

Vous vous étonnez sans doute, monsieur, qu’il se passe tant de scènes si tragiques dans un pays qui se vante de la douceur de ses mœurs, et où les étrangers mêmes venaient en foule chercher les agréments de la société. Mais je ne vous cacherai point que


    du cardinalat, est proscrit sans être entendu ; son sang est proclamé à cinquante mille écus. On vend ses livres pour payer sa tête dans le temps même qu’il conclut la paix de Munster, et qu’il rend le repos à l’Europe ; mais on n’en fait que rire, et cette proscription ne produit que des chansons.

    « Altri tempi, altre cure ; ajoutons : d’autres temps, d’autres malheurs, et ces malheurs s’oublieront pour faire place à d’autres. Soumettons-nous à la Providence, qui nous éprouve, tantôt par des calamités publiques, tantôt par des désastres particuliers. Souhaitons des lois plus sensées, des ministres des lois plus sages, plus éclairés, plus humains. » (B.)

  1. N° 164 de ses Réflexions et Maximes.