Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/537

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
527
SUR LES CALAS ET LES SIRVEN.


devoirs (surtout quand la police est exacte), quoiqu’il porte en procession les os de quatorze mille enfants tués par l’ordre sensé d’Hérode dans Bethléem. Mais tant de corps morts, qui ne servent en ce jour qu’à renouveler la mémoire de quatre mille citoyens égorgés en 1562, ne peuvent faire sur les cerveaux des vivants qu’une impression funeste. Ajoutez que les pénitents blancs et noirs, marchant à cette procession avec un masque de drap sur le visage, ressemblent à des revenants qui augmentent l’horreur de cette fête lugubre. On en sort la tête remplie de fantômes, le cœur saisi de l’esprit de fanatisme, et rempli de fiel contre ses frères, que cette procession outrage. C’est ainsi qu’on sortait autrefois de la chambre des méditations chez les jésuites : l’imagination s’enflamme à ces objets, l’âme devient atroce et implacable.

Malheureux humains ! ayez des fêtes qui adoucissent les mœurs, qui portent à la clémence, à la douceur, à la charité. Célébrez la journée de Fontenoy, où tous les ennemis blessés furent portés avec les nôtres dans les mêmes maisons, dans les mêmes hôpitaux, où ils furent traités, soignés avec le même empressement.

Célébrez la générosité des Anglais qui firent une souscription en faveur de nos prisonniers dans la dernière guerre[1].

Célébrez les bienfaits dont Louis XV a comblé la famille Calas, et que cette fête soit une éternelle réparation de l’injustice !

Célébrez les institutions bienfaisantes et utiles des Invalides, des demoiselles de Saint-Cyr, des gentilshommes de l’École militaire. Que vos fêtes soient les commémorations des actions vertueuses, et non de la haine, de la discorde, de l’abrutissement, du meurtre, et du carnage !

CAUSES ÉTRANGES DE INTOLÉRANCE.

Je suppose qu’on raconte toutes ces choses à un Chinois, à un Indien de bon sens, et qu’il ait la patience de les écouter ; je suppose qu’il veuille s’informer pourquoi on a tant persécuté en Europe, pourquoi des haines si invétérées éclatent encore, d’où sont partis tant d’anathèmes réciproques, tant d’instructions pastorales qui ne sont que des libelles diffamatoires, tant de lettres de cachet qui sous Louis XIV ont rempli les prisons et les déserts, il faudra bien qu’on lui réponde. On lui dira donc en rougissant : Les uns croient à la grâce versatile, les autres à la grâce efficace.

  1. Voyez tome XXIV, page 474.