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COMMENTAIRE SUR LE LIVRE



VII.
du crime de la prédication, et d’antoine.[1]

Un prédicant calviniste qui vient prêcher secrètement ses ouailles dans certaines provinces est puni de mort s’il est découvert[2], et ceux qui lui ont donné à souper et à coucher sont envoyés aux galères perpétuelles.

Dans d’autres pays, un jésuite qui vient prêcher est pendu. Est-ce Dieu qu’on a voulu venger en faisant pendre ce prédicant et ce jésuite ? S’est-on des deux côtés appuyé sur cette loi de l’Évangile[3] : « Quiconque n’écoute point l’assemblée soit traité comme un païen et comme un receveur des deniers publics » ? Mais l’Évangile n’ordonna pas qu’on tuât ce païen et ce receveur.

S’est-on fondé sur ces paroles du Deutéronome[4] : « S’il s’élève un prophète,... et que ce qu’il a prédit arrive,... et qu’il vous dise : Suivons des dieux étrangers ;... et si votre frère ou votre fils, ou votre chère femme, ou l’ami de votre cœur vous dit : Allons, servons des dieux étrangers,... tuez-le aussitôt ; frappez le premier, et tout le peuple après vous » ? Mais ni ce jésuite ni ce calviniste ne vous ont dit : Allons, suivons des dieux étrangers.

Le conseiller Dubourg, le chanoine Jehan Chauvin dit Calvin, le médecin Servet espagnol, le Calabrois Gentilis, servaient le même Dieu. Cependant le président Minard fit pendre le conseiller Dubourg ; et les amis de Dubourg firent assassiner Minard ; et Jehan Calvin fit brûler le médecin Servet à petit feu, et eut la consolation de contribuer beaucoup à faire trancher la tête au Calabrois Gentilis ; et les successeurs de Jehan Calvin firent brûler Antoine. Est-ce la raison, la piété, la justice, qui ont commis tous ces meurtres ?

L’histoire d’Antoine est une des plus singulières dont le souvenir se soit conservé dans les annales de la démence. Voici ce que j’en ai lu dans un manuscrit très-curieux, et qui est rapporté en partie par Jacob Spon. Antoine était né à Brieu[5] en Lorraine, de père et de mère catholiques, et avait étudié à Pont-à-Mousson

  1. Voyez aussi tome XVIII, page 265 ; et XX, 91.
  2. Édit de 1724, et édits antérieurs. (Note de Voltaire.)
  3. Matthieu, xviii, 17.
  4. Chapitre xiii. (Note de Voltaire.)
  5. C’est Briey, et non Brieu.