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DU DANGER DES FAUSSES LÉGENDES.

des persécutions anciennes, un seul trait qui approche de la Saint-Barthélemy et des massacres d’Irlande ? Y en a-t-il un seul qui ressemble à la fête annuelle qu’on célèbre encore dans Toulouse, fête cruelle, fête abolissable à jamais, dans laquelle un peuple entier remercie Dieu en procession, et se félicite d’avoir égorgé, il y a deux cents ans[1], quatre mille de ses concitoyens ?

Je le dis avec horreur, mais avec vérité : c’est nous, chrétiens, c’est nous qui avons été persécuteurs, bourreaux, assassins ! Et de qui ? de nos frères. C’est nous qui avons détruit cent villes, le crucifix ou la Bible à la main, et qui n’avons cessé de répandre le sang et d’allumer des bûchers, depuis le règne de Constantin jusqu’aux fureurs des cannibales qui habitaient les Cévennes : fureurs qui, grâces au ciel, ne subsistent plus aujourd’hui.

Nous envoyons encore quelquefois à la potence de pauvres gens du Poitou, du Vivarais, de Valence, de Montauban. Nous avons pendu, depuis 1745, huit personnages de ceux qu’on appelle prédicants ou ministres de l’Évangile, qui n’avaient d’autre crime que d’avoir prié Dieu pour le roi en patois, et d’avoir donné une goutte de vin et un morceau de pain levé à quelques paysans imbéciles. On ne sait rien de cela dans Paris, où le plaisir est la seule chose importante, où l’on ignore tout ce qui se passe en province et chez les étrangers. Ces procès se font en une heure, et plus vite qu’on ne juge un déserteur. Si le roi en était instruit, il ferait grâce.

On ne traite ainsi les prêtres catholiques en aucun pays protestant. Il y a plus de cent prêtres catholiques en Angleterre et en Irlande ; on les connaît, on les a laissés vivre très-paisiblement dans la dernière guerre[2].

Serons-nous toujours les derniers à embrasser les opinions saines des autres nations ? Elles se sont corrigées : quand nous corrigerons-nous ? Il a fallu soixante ans pour nous faire adopter ce que Newton avait démontré[3] ; nous commençons à peine à oser sauver la vie à nos enfants par l’inoculation[4] ; nous ne pratiquons que depuis très-peu de temps les vrais principes de l’agriculture ; quand commencerons-nous à pratiquer les vrais prin-

  1. Voyez pages 20 et 21.
  2. La guerre de Sept ans, terminée par le traité du 10 février 1763 ; voyez tome XV, page 373.
  3. La grande loi de l’attraction ; voyez tome XIV, page 561 ; et XXII, 132 et 527.
  4. Le parlement de Paris avait, le 8 juin 1763, rendu un arrêt contre l’inoculation ; voyez tome XXIV, page 467.