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CHAPITRE XI.

quelle exception exempterait les premiers de l’État des mêmes peines ? La religion lie également le monarque et les mendiants : aussi plus de cinquante docteurs ou moines ont affirmé cette horreur monstrueuse qu’il était permis de déposer, de tuer les souverains qui ne penseraient pas comme l’Église dominante ; et les parlements du royaume n’ont cessé de proscrire ces abominables décisions d’abominables théologiens[1].

Le sang de Henri le Grand fumait encore quand le parlement de Paris donna un arrêt qui établissait l’indépendance de la couronne comme une loi fondamentale. Le cardinal Duperron, qui devait la pourpre à Henri le Grand[2], s’éleva, dans les états de 1614, contre l’arrêt du parlement, et le fit supprimer. Tous les journaux du temps rapportent les termes dont Duperron se servit dans ses harangues : « Si un prince se faisait arien, dit-il, on serait bien obligé de le déposer. »

  1. Le jésuite Busembaum, commenté par le jésuite Lacroix, dit « qu’il est permis de tuer un prince excommunié par le pape, dans quelque pays qu’on trouve ce prince, parce que l’univers appartient au pape, et que celui qui accepte cette commission fait une œuvre charitable ». C’est cette proposition, inventée dans les petites-maisons de l’enfer, qui a le plus soulevé toute la France contre les jésuites. On leur a reproché alors plus que jamais ce dogme, si souvent enseigné par eux, et si souvent désavoué. Ils ont cru se justifier en montrant à peu près les mêmes décisions dans saint Thomas et dans plusieurs jacobins (voyez, si vous pouvez, la Lettre d’un homme du monde à un théologien, sur saint Thomas ; c’est une brochure de jésuite, de 1762). En effet, saint Thomas d’Aquin, docteur angélique, interprète de la volonté divine (ce sont ses titres), avance qu’un prince apostat perd son droit à la couronne, et qu’on ne doit plus lui obéir ; que l’Église peut le punir de mort (livre II, part. 2, quest. 12) ; qu’on n’a toléré l’empereur Julien que parce qu’on n’était pas le plus fort (livre II, part. 2, quest. 12) ; que de droit on doit tuer tout hérétique (livre II, part. 2, quest. 11 et 12) ; que ceux qui délivrent le peuple d’un prince qui gouverne tyranniquement sont très-louables, etc., etc. On respecte fort l’ange de l’école ; mais si, dans les temps de Jacques Clément, son confrère, et du feuillant Ravaillac, il était venu soutenir en France de telles propositions, comment aurait-on traité l’ange de l’école ?

    Il faut avouer que Jean Gerson, chancelier de l’Université, alla encore plus loin que saint Thomas, et le cordelier Jean Petit, infiniment plus loin que Gerson. Plusieurs cordeliers soutinrent les horribles thèses de Jean Petit. Il faut avouer que cette doctrine diabolique du régicide vient uniquement de la folle idée où ont été longtemps presque tous les moines que le pape est un Dieu en terre, qui peut disposer à son gré du trône et de la vie des rois. Nous avons été en cela fort au-dessous de ces Tartares qui croient le grand-lama immortel : il leur distribue sa chaise percée ; ils font sécher ces reliques, les enchâssent, et les baisent dévotement. Pour moi, j’avoue que j’aimerais mieux, pour le bien de la paix, porter à mon cou de telles reliques que de croire que le pape ait le moindre droit sur le temporel des rois, ni même sur le mien, en quelque cas que ce puisse être. (Note de Voltaire.) — Il a été parlé du jésuite Busembaum dans une note, tome XII, page 559.

  2. Voyez tome XII, page 574 ; et XVI, 12.