Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
72
CHAPITRE XII.

En effet, les Juifs immolaient des hommes à la Divinité, témoin le sacrifice de Jephté[1], témoin le roi Agag[2] coupé en

  1. Il est certain par le texte [Juges, xi, 39] que Jephté immola sa fille. « Dieu n’approuve pas ces dévouements, dit dom Calmet dans sa Dissertation sur le vœu de Jephté ; mais lorsqu’on les a faits, il veut qu’on les exécute, ne fût-ce que pour punir ceux qui les faisaient, ou pour réprimer la légèreté qu’on aurait eue à les faire, si on n’en avait pas craint l’exécution. » Saint Augustin et presque tous les Pères condamnent l’action de Jephté : il est vrai que l’Écriture [Juges, xi, 29] dit qu’il fut rempli de l’esprit de Dieu ; et saint Paul, dans son Épître aux Hébreux, chap. xi [verset 32], fait l’éloge de Jephté ; il le place avec Samuel et David.

    Saint Jérôme, dans son Épître à Julien, dit : « Jephté immola sa fille au Seigneur, et c’est pour cela que l’apôtre le compte parmi les saints. » Voilà de part et d’autre des jugements sur lesquels il ne nous est pas permis de porter le nôtre ; on doit craindre même d’avoir un avis. (Note de Voltaire.)

  2. On peut regarder la mort du roi Agag comme un vrai sacrifice. Saül avait fait ce roi des Amalécites prisonnier de guerre, et l’avait reçu à composition ; mais le prêtre Samuel lui avait ordonné de ne rien épargner ; il lui avait dit en propres mots [I. Rois, xv, 3] : « Tuez tout, depuis l’homme jusqu’à la femme, jusqu’aux petits enfants, et ceux qui sont encore à la mamelle.

    « Samuel coupa le roi Agag en morceaux, devant le Seigneur, à Galgal.

    « Le zèle dont ce prophète était animé, dit dom Calmet, lui mit l’épée en main dans cette occasion pour venger la gloire du Seigneur et pour confondre Saül. »

    On voit, dans cette fatale aventure, un dévouement, un prêtre, une victime : c’était donc un sacrifice.

    Tous les peuples dont nous avons l’histoire ont sacrifié des hommes à la Divinité, excepté les Chinois. Plutarque [Quest. rom. lxxxii] rapporte que les Romains même en immolèrent du temps de la république.

    On voit, dans les Commentaires de César [De Bello gall., I., xxiv], que les Germains allaient immoler les otages qu’il leur avait donnés, lorsqu’il délivra ces otages par sa victoire.

    J’ai remarqué ailleurs [tome XI, page 161] que cette violation du droit des gens envers les otages de César, et ces victimes humaines immolées, pour comble d’horreur, par la main des femmes, dément un peu le panégyrique que Tacite fait des Germains, dans son traité De Moribus Germanorum. Il paraît que, dans ce traité, Tacite songe plus à faire la satire des Romains que l’éloge des Germains, qu’il ne connaissait pas.

    Disons ici en passant que Tacite aimait encore mieux la satire que la vérité. Il veut rendre tout odieux, jusqu’aux actions indifférentes, et sa malignité nous plaît presque autant que son style, parce que nous aimons la médisance et l’esprit.

    Revenons aux victimes humaines. Nos pères en immolaient aussi bien que les Germains : c’est le dernier degré de la stupidité de notre nature abandonnée à elle-même, et c’est un des fruits de la faiblesse de notre jugement. Nous dîmes : Il faut offrir à Dieu ce qu’on a de plus précieux et de plus beau ; nous n’avons rien de plus précieux que nos enfants ; il faut donc choisir les plus beaux et les plus jeunes pour les sacrifier à la Divinité.

    Philon dit que, dans la terre de Chanaan, on immolait quelquefois ses enfants avant que Dieu eût ordonné à Abraham de lui sacrifier son fils unique Isaac, pour éprouver sa foi.

    Sanchoniathon, cité par Eusèbe, rapporte que les Phéniciens sacrifiaient dans les grands dangers le plus cher de leurs enfants, et qu’Ilus immola son fils Jéhud à peu