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CHAPITRE XIV.

Il est clair que cette allégorie ne regardant que le royaume des cieux, nul homme assurément ne doit en prendre le droit de garrotter ou de mettre au cachot son voisin qui serait venu souper chez lui sans avoir un habit de noces convenable, et je ne connais dans l’histoire aucun prince qui ait fait pendre un courtisan pour un pareil sujet ; il n’est pas non plus à craindre que, quand l’empereur, ayant tué ses volailles, enverra des pages à des princes de l’empire pour les prier à souper, ces princes tuent ces pages. L’invitation au festin signifie la prédication du salut ; le meurtre des envoyés du prince figure la persécution contre ceux qui prêchent la sagesse et la vertu.

L’autre[1] parabole est celle d’un particulier qui invite ses amis à un grand souper, et lorsqu’il est prêt de se mettre à table, il envoie son domestique les avertir. L’un s’excuse sur ce qu’il a acheté une terre, et qu’il va la visiter : cette excuse ne paraît pas valable, ce n’est pas pendant la nuit qu’on va voir sa terre ; un autre dit qu’il a acheté cinq paires de bœufs, et qu’il les doit éprouver : il a le même tort que l’autre, on n’essaye pas des bœufs à l’heure du souper ; un troisième répond qu’il vient de se marier, et assurément son excuse est très-recevable. Le père de famille, en colère, fait venir à son festin les aveugles et les boiteux, et, voyant qu’il reste encore des places vides, il dit à son valet[2] : « Allez dans les grands chemins et le long des haies, et contraignez les gens d’entrer. »

Il est vrai qu’il n’est pas dit expressément que cette parabole soit une figure du royaume des cieux. On n’a que trop abusé de ces paroles : Contrains-les d’entrer ; mais il est visible qu’un seul valet ne peut contraindre par la force tous les gens qu’il rencontre à venir souper chez son maître ; et d’ailleurs, des convives ainsi forcés ne rendraient pas le repas fort agréable. Contrains-les d’entrer ne veut dire autre chose, selon les commentateurs les plus accrédités, sinon : priez, conjurez, pressez, obtenez. Quel rapport, je vous prie, de cette prière et de ce souper à la persécution ?

Si on prend les choses à la lettre, faudra-t-il être aveugle, boiteux, et conduit par force, pour être dans le sein de l’Église ? Jésus dit dans la même parabole[3] : « Ne donnez à dîner ni à vos amis ni à vos parents riches » ; en a-t-on jamais inféré qu’on

  1. Saint Luc, chap. xiv. (Note de Voltaire.)
  2. Verset 23.
  3. Luc, xiv, 12.