Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/152

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3o Tu continues à canoniser l’action du centurion Marcel, qui jeta son ceinturon, son épée, sa baguette, à la tête de sa troupe, et qui déclara devant l’armée qu’il ne fallait pas servir son empereur. Mon ami, prends garde, le ministre de la guerre veut que le service se fasse ; ton Marcel est de mauvais exemple. Sois bon chrétien si tu peux ; mais point de sédition, je t’en prie : souviens-toi de frère Guignard[1] et sois sage.

Tu loues encore le bon chrétien qui déchire l’édit de l’empereur. Nonotte, cela est fort. Prends garde à toi, te dis-je ; le roi n’aime pas qu’on déchire ses édits, il le trouverait mauvais. Sais-tu bien que c’est un crime de lèse-majesté au second chef ? Tu apportes pour raison que cet édit était injuste. Était-ce donc à ce chrétien à décider de la légitimité d’un arrêt du conseil ? Où en serions-nous si chaque jésuite ou chaque janséniste prenait cette liberté ?

4o Petit Nonotte, rabâcheras-tu toujours les contes de la légion thébaine, et du petit Romanus, né bègue[2] dont on ne put arrêter le caquet dès qu’on lui eut coupé la langue ? Faut-il encore t’apprendre qu’il n’y a jamais eu de légion thébaine, que les empereurs romains n’avaient pas plus de légion égyptienne que de légion juive ; que nous avons les noms de toutes les légions dans la notice de l’empire, et qu’il n’y est nullement question de Thébains ; mais qu’il y avait d’ordinaire trois légions romaines en Égypte ?

Faut-il te redire que les faits, les dates et les lieux, déposent contre cette histoire digne de Rabelais ? Faut-il te répéter qu’on ne martyrise point six mille hommes armés dans une gorge de montagnes où il n’en peut tenir trois cents ? Croies-moi, Nonotte, marions les six mille soldats thébains aux onze mille vierges, ce sera à peu près deux filles pour chacun ; ils seront bien pourvus. Et à l’égard de la langue du petit Romanus, je te conseille de retenir la tienne, et pour cause.

5o Sois persuadé comme moi que David laissa en mourant vingt-cinq milliards d’argent comptant dans sa ville d’Hershalaïm, j’y consens ; obtiens que ta portion congrue soit assignée sur ce trésor royal ; cours après les trois cents renards que Samson attacha par la queue ; dîne du poisson qui avala Jonas ; sers de monture à Ralaam, et parle, j’y consens encore ; mais, par saint Ignace, ne fais pas le panégyrique d’Aod, qui assassina le roi Égion, et de

  1. Poursuivi en 1596 pour maximes séditieuses, il fut exécuté.
  2. Voyez tome XXIV, pages 486 et 487.