Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/170

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Voici comme M. de Voltaire, mon ami, traduit assez fidèlement tout cet excellent morceau, autant qu’une traduction en vers peut être fidèle :

Tel est l’esprit français ; je l’admire et le plains[1].
Dans son abaissement quel excès de courage !
La tête sous le joug, les lauriers dans les mains,
Il chérit à la fois la gloire et l’esclavage.
Ses exploits et sa honte ont rempli l’univers[2].
Vainqueur dans les combats, enchaîné par ses maîtres,
Pillé par des traitants, aveuglé par des prêtres ;
Dans la disette il chante, il danse avec ses fers.
Fier dans la servitude, heureux dans sa folie,
De l’Anglais libre et sage il est encor l’envie.

Les muses cependant ont habité ces bords,
Lorsqu’à leurs favoris prodiguant ses trésors,
Louis encourageait l’imitateur d’Horace :
Ce Boileau plein de sel encor plus que de grâce,
Courtisan satirique, ayant le double emploi
De censeur des Cotin, et de flatteur du roi.

Mais je t’aime encor mieux, ô respectable asile !
Chantilly, des héros séjour noble et tranquille,
Lieux où l’on vit Condé, fuyant de vains honneurs,
Lassé de factions, de gloire, et de grandeurs,
Caché sous ses lauriers, dérobant sa vieillesse
Aux dangers d’une cour infidèle et traîtresse,
Ayant éprouvé tout, dire avec vérité :
Rien ne remplit le cœur, et tout est vanité.

J’avoue que ces vers français peuvent n’avoir pas toute l’énergie anglaise. Hélas ! c’est le sort des traducteurs en toute langue d’être au-dessous de leurs originaux.

J’avoue encore qu’il y a quelques vers de Middleton injurieux à la nation française. M. de Voltaire a souvent repoussé toutes ces injures modestement, selon sa coutume.

En voilà assez pour ce qui regarde les vers. Quant à la trisection de l’angle, cela pourrait ennuyer les dames, dont il faut toujours ménager la délicatesse[3].

  1. Les douze premiers vers sont déjà tome XXIII, page 528
  2. C’était dans la guerre de 1689. (Note de Voltaire.)
  3. C’est entre cet alinéa et le suivant que les éditeurs de Kehl, copiés par tous leurs successeurs, avaient placé, comme vingt-septième honnêteté, le morceau dont il est parlé dans la note de la page 115.