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LETTRE


de Genève que Laurent Anglevieux[1], dit La Beaumelle, natif du Languedoc, fut reçu proposant en théologie le 12 octobre 1745, sous le rectorat de M. Ami de La Rive. Il prêcha à l’hôpital et dans plusieurs églises pendant deux ans. Il fut précepteur du fils de M. Budé de Boissy. Il alla ensuite solliciter à Copenhague une place de professeur, et fut ensuite chassé de Copenhague.

Si cet homme s’était contenté de faire de mauvais sermons, je me dispenserais de répondre à la lettre anonyme, quoiqu’elle soit la quatre-vingt-quinzième que j’aie reçue ; mais La Beaumelle est le même homme qui, ayant falsifié l’histoire de Louis XIV[2], la fit imprimer, avec des notes, à Francfort, chez Eslinger, en 1752. Il dit dans ces notes, en parlant de Louis XIV et de Louis XV, qu’un roi qui veut le bien est un être de raison. Il ose soupçonner Louis XIV d’avoir empoisonné le marquis de Louvois ; il insulte la mémoire du maréchal de Villars, et de M. le marquis de La Vrillière, de M. le marquis de Torcy, de M. de Chamillart. Il pousse la démence jusqu’à faire entendre que le duc d’Orléans, régent, empoisonna la famille royale. Son infâme ouvrage, écrit du style d’un laquais insolent, se débita, grâce à l’excès même de cette insolence. C’est le sort passager de tous les libelles écrits contre les gouvernements et contre les citoyens : ils inondent et ils inonderont toujours l’Europe, tant qu’il y aura des fous sans éducation, sans fortune et sans honneur, qui, sachant barbouiller quelques phrases, feront, pour avoir du pain, ce métier aussi facile qu’infâme.

Le prédicant La Beaumelle, qui osa retourner en France, ne fut puni que par quelques mois de Bicêtre[3] ; mais son châtiment étant peu connu, et son crime étant public, mon devoir est de prévenir dans toutes les occasions les suites de ce crime, et de faire connaître aux Français et aux étrangers quel est l’homme qui a falsifié ainsi l’histoire du siècle de Louis XIV, et qui a tourné en un indigne libelle un monument si justement élevé à l’honneur de ma patrie.

Comme il a fait contre moi plusieurs autres libelles calomnieux, je dois demander quelle foi on doit ajouter à un homme qui, dans un autre libelle intitulé Mes Pensées, a insulté les plus illustres magistrats du conseil de Berne, en les nommant par leur nom, et monseigneur le duc de Saxe-Gotha, à qui je suis

  1. Le nom était Angliviel.
  2. Voyez tome XV, pages 87, 100 ; XXIV, 49 ; XXV, 589 ; et, dans le présent volume, page 133.
  3. Ce ne fut pas à Bicêtre, mais à la Bastille que La Beaumelle fut enfermé.