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CHAPITRE XIII.


Pourquoi le chrétien le plus scrupuleux rit-il aujourd’hui sans remords de tous ces Évangiles, de tous ces Actes, qui ne sont plus dans le canon, et n’ose-t-il rire de ceux qui sont adoptés par l’Église ? Ce sont à peu près les mêmes contes ; mais le fanatique adore sous un nom ce qui lui paraît le comble du ridicule sous un autre.

Enfin on choisit quatre Évangiles ; et la grande raison, au rapport de saint Irénée, c’est qu’il n’y a que quatre vents cardinaux ; c’est que Dieu est assis sur les chérubins, et que les chérubins ont quatre formes. Saint Jérôme ou Hiéronyme, dans sa préface sur l’Évangile de Marc, ajoute aux quatre vents et aux quatre animaux les quatre anneaux qui servaient aux bâtons sur lesquels on portait le coffre appelé l’arche.

Théophile d’Antioche prouve que le Lazare ayant été mort pendant quatre jours, on ne pouvait conséquemment admettre que quatre Évangiles. Saint Cyprien prouve la même chose par les quatre fleuves qui arrosaient le paradis terrestre. Il faudrait être bien impie pour ne pas se rendre à de telles raisons.

Mais avant qu’on eût donné quelque préférence à ces quatre Évangiles, les Pères des deux premiers siècles ne citaient presque jamais que les Évangiles nommés aujourd’hui apocryphes. C’est une preuve incontestable que nos quatre Évangiles ne sont pas de ceux à qui on les attribue.

Je veux qu’ils en soient ; je veux, par exemple, que Luc ait écrit celui qui est sous son nom. Je dirais à Luc : Comment oses-tu avancer que Jésus naquit sous le gouvernement de Cyrinus ou Quirinus, tandis qu’il est avéré que Quirinus ne fut gouverneur de Syrie que plus de dix ans après ? Comment as-tu le front de dire qu’Auguste avait ordonné le dénombrement de toute la terre, et que Marie alla à Bethléem pour se faire dénombrer ? Le dénombrement de toute la terre ! Quelle expression ! Tu as ouï dire qu’Auguste avait un livre de raison qui contenait le détail des forces de l’empire et de ses .finances ; mais un dénombrement de tous les sujets de l’empire ! c’est à. quoi il ne pensa jamais ; encore moins un dénombrement de la terre entière ; aucun écrivain romain, ou grec, ou barbare, n’a jamais dit cette extravagance. Te voilà donc convaincu par toi-même du plus énorme mensonge ; et il faudra qu’on adore ton livre !

    christianisme d’aujourd’hui, et encore moins au christianisme de Rome qu’à tous les autres. (Note de Voltaire.) — Toute cette note est de 1771, sauf la première phrase du dernier alinéa, qui fut ajoutée en 1775. Voltaire cite encore ailleurs la chanson rapportée par saint Augustin ; voyez tome XVII, page 62.