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CHAPITRE XIV.


Les premiers raisonneurs chrétiens disaient donc dans les carrefours et dans les auberges, aux païens qui se mêlaient de raisonner : Ne soyez point effarouchés de nos mystères ; vous recourez aux expiations pour vous purger de vos crimes : nous avons une expiation bien plus salutaire. Vos oracles ne valent pas les nôtres ; et pour vous convaincre que notre secte est la seule bonne, c’est que vos propres oracles ont prédit tout ce que nous vous enseignons, et tout ce qu’a fait notre Seigneur Jésus-Christ. N’avez-vous pas entendu parler des sibylles ? — Oui, répondent les disputeurs païens aux disputeurs galiléens ; toutes les sibylles ont été inspirées par Jupiter même ; leurs prédictions sont toutes véritables. — Eh bien, repartent les galiléens, nous vous montrerons des vers de sibylles qui annoncent clairement Jésus-Christ, et alors il faudra bien vous rendre.

Aussitôt les voilà qui se mettent à forger les plus mauvais vers grecs qu’on ait jamais composés, des vers semblables à ceux de notre Grub-street, de Blackmore, et de Gibson. Ils les attribuent aux sibylles, et pendant plus de quatre cents ans ils ne cessent de fonder le christianisme sur cette preuve, qui était éga-

    chargés des plus grandes affaires, veulent encore prendre sur eux le fardeau de la controverse. Il se trompe, et les Actes des apôtres, qu’il réfute, se trompent évidemment aussi. Sergius n’était ni un homme de néant, comme le dit Julien, ni proconsul, ni gouverneur de Chypre, comme le disent les Actes [XIII, 7].

    Il n’y avait qu’un proconsul en Syrie, dont l’île de Chypre dépendait, et c’était ce proconsul de Syrie qui nommait le propréteur de Chypre. Mais ce propréteur était toujours un homme considérable.

    Peut-être l’empereur Julien veut-il parler d’un autre Sergius, que les Actes des apôtres auront maladroitement transformé en proconsul ou en propréteur. Ces Actes sont une rapsodie informe, remplie de contradictions, comme tout ce que les Juifs et les Galiléens ont écrit.

    Ils disent que Paul et Barnabé trouvèrent à Paphos un Juif magicien, nommé Bar-Jésu, qui voulait empêcher le propréteur Sergius de se faire chrétien ; c’est au chap. XIII. Ensuite ils disent que ce Bar-Jésu s’appelait Élymas, et que Paul et Barnabé le rendirent aveugle pour quelques jours, et que ce miracle détermina le propréteur à se faire chrétien. On sent assez la valeur d’un pareil conte. On n’a qu’à lire le discours que tient Paul à ce Sergius pour voir que Sergius n’aurait pu y rien comprendre.

    Ce chapitre finit par dire que Paul et Barnabé furent chassés de l’île de Chypre. Comment ce Sergius, qui était le maître, les aurait-il laissé chasser s’il avait embrassé leur religion ? Mais comment aussi ce Sergius, ayant la principale dignité dans l’île, et par conséquent n’étant point un imbécile, se serait-il fait chrétien tout d’un coup ?

    Tous ces contes du Tonneau ne sont-ils pas d’une absurdité palpable ?

    Remarquons surtout que Jésus, dans les Actes des apôtres, et dans tous les discours de Paul, n’est jamais regardé que comme un homme, et qu’il n’y a pas un seul texte authentique où il soit question de sa prétendue divinité. (Note de Voltaire, 1771.) — Le Conte du Tonneau est un ouvrage facétieux de Swift ; voyez page 206.