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CONDUITE DES CHRÉTIENS AVEC LES ROMAINS.


lement à la portée des trompeurs et des trompés. Ce premier pas étant fait, on vit ces faussaires puérils mettre sur le compte des sibylles jusqu’à des vers acrostiches qui commençaient tous par les lettres qui composent le nom de Jésus-Christ.

Lactance nous a conservé une grande partie de ces rapsodies, comme des pièces authentiques. À ces fables ils ajoutaient des miracles, qu’ils faisaient même quelquefois en public. Il est vrai qu’ils ne ressuscitaient point de morts comme Élisée ; ils n’arrêtaient pas le soleil comme Josué ; ils ne passaient point la mer à pied sec comme Moïse ; ils ne se faisaient pas transporter par le diable comme Jésus sur le haut d’une petite montagne de Galilée, d’où l’on découvrait toute la terre ; mais ils guérissaient la fièvre quand elle était sur son déclin, et même la gale, lorsque le galeux avait été baigné, saigné, purgé, frotté. Ils chassaient surtout les démons : c’était le principal objet de la mission des apôtres. Il est dit, dans plus d’un Évangile[1], que Jésus les envoya exprès pour les chasser.

C’était une ancienne prérogative du peuple de Dieu. Il y avait, comme on sait, des exorcistes à Jérusalem qui guérissaient les possédés en leur mettant sous le nez un peu de la racine nommée barath, et en marmottant quelques paroles tirées de la Clavicule de Salomon. Jésus lui-même avoue que les Juifs avaient ce pouvoir. Rien n’était plus aisé au diable que d’entrer dans le corps d’un gueux, moyennant un ou deux schellings. Un Juif ou un Galiléen un peu à son aise pouvait chasser dix diables par jour pour une guinée. Les diables n’osaient jamais s’emparer d’un gouverneur de province, d’un sénateur, pas même d’un centurion : il n’y eut jamais que ceux qui ne possédaient rien du tout qui fussent possédés.

Si le diable dut se saisir de quelqu’un, c’était de Pilate ; cependant il n’osa jamais en approcher. On a longtemps exorcisé la canaille en Angleterre, et encore plus ailleurs ; mais quoique la secte chrétienne soit précisément établie pour cet usage, il est aboli presque partout, excepté dans les États de l’obédience du pape, et dans quelques pays grossiers d’Allemagne, malheureusement soumis à des évêques et à des moines.

Ce qu’ont enfin pu faire de mieux tous les gouvernements a été d’abolir tous les premiers usages du christianisme : baptême des filles adultes toutes nues, dans des cuves, par des hommes ; baptême abominable des morts ; exorcisme, possessions du diable,

  1. Matthieu, X, 1 ; Marc, III, 15 ; Luc, IX, 1.