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CHAPITRE XX.


bonté de se lever, de marcher, et de causer avec nous ; » le mort s’en donna bien de garde ; alors Pierre lui dit de loin : « Mon fils, levez-vous, notre Seigneur Jésus-Christ vous guérit. » Le jeune homme se leva, parla, et marcha ; et Simon Barjone le rendit à sa mère. Simon, son adversaire, alla se plaindre à Néron, et lui dit que Pierre n’était qu’un misérable charlatan et un ignorant. Pierre comparut devant l’empereur, et lui dit à l’oreille : « Croyez-moi, j’en sais plus que lui, et, pour vous le prouver, faites-moi donner secrètement deux pains d’orge ; vous verrez que je devinerai ses pensées, et qu’il ne devinera pas les miennes. » On apporte à Pierre ces deux pains, il les cache dans sa manche. Aussitôt Simon fit paraître deux gros chiens, qui étaient ses anges tutélaires : ils voulurent dévorer Pierre, mais le madré leur jeta ses deux pains ; les chiens les mangèrent, et ne firent nul mal à l’apôtre. « Eh bien, dit Pierre, vous voyez que je connaissais ses pensées, et qu’il ne connaissait pas les miennes. »

Le magicien demanda sa revanche ; il promit qu’il volerait dans les airs comme Dédale ; on lui assigna un jour : il vola en effet ; mais saint Pierre pria Dieu avec tant de larmes que Simon tomba et se cassa le cou. Néron, indigné d’avoir perdu un si bon machiniste par les prières de Simon Pierre, ne manqua pas de faire crucifier ce Juif la tête en bas.

Qui croirait que cette histoire est contée non-seulement par Abdias, mais par deux autres chrétiens contemporains, Hégésippe, dont nous avons déjà parlé[1], et Marcel ? Mais ce Marcel ajoute de belles particularités de sa façon. Il ressemble aux écrivains d’évangile, qui se contredisent les uns les autres. Ce Marcel met Paul de la partie ; il ajoute seulement que Simon le Magicien, pour convaincre l’empereur de son savoir-faire, dit à ce prince : « Faites-moi le plaisir de me couper la tête, je vous promets de ressusciter le troisième jour. » L’empereur essaya la chose ; on coupa la tête au magicien, qui reparut le troisième jour devant Néron avec la plus belle tête du monde sur ses épaules.

Que le lecteur maintenant fasse une réflexion avec moi : je suppose que les trois imbéciles Abdias, Hégésippe, et Marcel, qui racontent ces pauvretés, eussent été moins maladroits, qu’ils eussent inventé des contes plus vraisemblables sur les deux Simons, ne seraient-ils pas regardés aujourd’hui comme des Pères de l’Église irréfragables ? Tous nos docteurs ne les citeraient-

  1. Ci-dessus, page 248.