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HOMÉLIE

C’est une belle démarche de l’esprit humain, un élancement divin de notre raison, si j’ose ainsi parler, que cet ancien argument : J’existe, donc quelque chose existe de toute éternité. C’est embrasser tous les temps du premier pas et du premier coup d’œil. Rien n’est plus grand ; mais rien n’est plus simple. Cette vérité est aussi démontrée que les propositions les plus claires de l’arithmétique et de la géométrie : elle peut étonner un moment un esprit inattentif ; mais elle le subjugue invinciblement le moment d’après. Enfin, elle n’a été niée par personne, car, à l’instant qu’on réfléchit, on voit évidemment que si rien n’existait de toute éternité, tout serait produit par le néant : notre existence n’aurait nulle cause, ce qui est une contradiction absurde.

Nous sommes intelligents : donc il y a une intelligence éternelle. L’univers ne nous atteste-t-il pas qu’il est l’ouvrage de cette intelligence ? Si une simple maison bâtie sur la terre, ou un vaisseau qui fait sur les mers le tour de notre petit globe, prouve invinciblement l’existence d’un ouvrier, le cours des astres et toute la nature démontrent l’existence de leur auteur.

Non, me répond un partisan de Straton ou de Zénon, le mouvement est essentiel à la matière ; toutes les combinaisons sont possibles avec le mouvement : donc, dans un mouvement éternel, il fallait absolument que la combinaison de l’univers actuel eût sa place. Jetez mille dés pendant l’éternité, il faudra que la chance de mille surfaces semblables arrive, et on assigne même ce qu’on doit parier pour et contre.

Ce sophisme a souvent étonné des esprits sages, et confondu les superficiels ; mais voyons s’il n’est pas une illusion trompeuse.

Premièrement, il n’y a nulle preuve que le mouvement soit essentiel à la matière ; au contraire, tous les sages conviennent qu’elle est indifférente au mouvement et au repos, et un seul atome ne remuant pas de sa place détruit l’opinion de ce mouvement essentiel.

Secondement, quand même il serait nécessaire que la matière fût en motion, comme il est nécessaire qu’elle soit figurée, cela ne prouverait rien contre l’intelligence qui dirige son mouvement, et qui modèle ses diverses figures.

Troisièmement, l’exemple de mille dés qui amènent une chance est bien plus étranger à la question qu’on ne croit. Il ne s’agit pas de savoir si le mouvement rangera différemment des cubes ; il est sans doute très-possible que mille dés amènent mille six ou mille as, quoique cela soit très-difficile. Ce n’est là qu’un arrangement de matière sans aucun dessein, sans organisation, sans utilité ;