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SUR L'ATHÉISME. 327

Il y a eu des athées chez tous les peuples connus; mais je doute beaucoup que cet athéisme ait été une persuasion pleine, une conviction lumineuse, dans laquelle l'esprit se repose sans aucun doute, comme dans une démonstration géométrique. N'était-ce pas plutôt une demi-persuasion fortifiée par la rage d'une passion violente, et par l'orgueil, qui tiennent lieu d'une conviction entière ? Les Phalaris, les Busiris (et il y en a dans toutes les conditions), se moquaient avec raison des fables de Cerbère et des Euménides : ils voyaient bien qu'il était ridicule d'imaginer que Thésée fût éternellement assis sur une escabelle, et qu'un vautour déchirât toujours le foie renaissant de Promé- thée. Ces extravagances, qui déshonoraient la Divinité, l'anéan- tissaient à leurs yeux. Ils disaient confusément dans leur cœur : On ne nous a jamais dit que des inepties sur la Divinité; cette Divinité n'est donc qu'une chimère. Ils foulaient aux pieds une vérité consolante et terrible, parce qu'elle était entourée de men- songes.

malheureux théologiens de l'école, que cet exemple vous apprenne à ne pas annoncer Dieu ridiculement! C'est vous qui, par vos platitudes, répandez l'athéisme que vous combattez; c'est vous qui faites les athées de cour, auxquels il suffit d'un argu- ment spécieux pour justifier toutes leurs horreurs. lAIais si le tor- rent des affaires et celui de leurs passions funestes leur avaient laissé le temps de rentrer en eux-mêmes, ils auraient dit : Les mensonges des prêtres d'Isis et des prêtres de Cybèle ne doivent m'irriter que contre eux, et non pas contre la Divinité, qu'ils outragent. Si le Phlégéton et le Cocyte n'existent point, cela n'em- pêche pas que Dieu existe. Je veux mépriser les fables, et adorer la vérité. Si on m'a peint Dieu comme un tyran ridicule, je ne le croirai pas moins sage et moins juste. Je ne dirai pas avec Orphée que les ombres des hommes vertueux se promènent dans les champs Élysées; je n'admettrai point la métempsycose des pha- risiens, encore moins l'anéantissement de l'àme avec les sadu- céens. Je reconnaîtrai une providence éternelle, sans oser deviner quels seront les moyens et les effets de sa miséricorde et de sa jus- tice. Je n'abuserai point de la raison que Dieu m'a donnée ; je croirai qu'il y a du vice et de la vertu , comme il y a de la santé et de la maladie; et enfin, puisqu'un pouvoir invisible, dont je sens continuellement l'influence, m'a fait un être pensant et agis- sant, je conclurai que mes pensées et mes actions doivent être dignes de ce pouvoir qui m'a fait naître.

Ne nous dissimulons point ici qu'il y a eu des athées vertueux.

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