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330 HOMÉLIE

image sensible, celle d'un pèrfi, toute défectueuse qu'elle est, paraîtrait peut-être la plus convenable à notre faiblesse.

Mais les emblèmes de la Divinité furent une des premières sources de la superstition. Dès que nous eûmes fait Dieu à notre image, le culte divin fut perverti. Ayant osé représenter Dieu sous la figure d'un homme, notre misérable imagination, qui ne s'arrête jamais, lui attribua tous les vices des hommes. Nous ne le regardâmes que comme un maître puissant, et nous le char- geâmes de tous les abus de la puissance; nous le célébrâmes comme fier, jaloux, colère, vindicatif, bienfaiteur, capricieux, destructeur impitoyable, dépouillant les uns pour enrichir les autres, sans autre raison que sa volonté. Nous n'avons d'idée que de proche en proche; nous ne concevons presque rien que par similitude : ainsi, quand la terre fut couverte de tyrans, on fit Dieu le premier des tyrans. Ce fut bien pis quand la Divinité fut annoncée par des emblèmes tirés des animaux et. des plantes. Dieu devint bœuf, serpent, crocodile, singe, chat, et agneau, broutant, sifflant, bêlant, dévorant, et dévoré.

La superstition a été si horrible chez presque toutes les na- tions que s'il n'en existait pas encore des monuments, il ne serait pas possible de croire ce qu'on nous en raconte. L'histoire du monde est celle du fanatisme.

Mais parmi les superstitions monstrueuses qui ont couvert la terre, y en a-t-il eu d'innocentes? Ne pourrons-nous point distin- guer entre des poisons dont on a su faire des remèdes, et des poisons qui ont conservé leur nature meurtrière? Cet examen inérite, si je ne me trompe, toute l'attention des esprits raison- nables.

Un homme fait du bien aux hommes ses frères, celui-là dé- truit des animaux carnassiers, celui-ci invente des arts par la force de son génie. On les voit par conséquent plus favorisés de Dieu que le vulgaire ; on imagine qu'ils sont enfants de Dieu, on on fait des demi-dieux après leur mort, des dieux secondaires. On les propose non-seulement pour modèle au reste dçs hommes, mais pour objet de leur culte. Celui qui adore Hercule et Persée s'excite à les imiter. Des autels deviennent le prix du génie et du courage. Je ne vois là qu'une erreur dont il résulte du bien. Les hommes ne sont trompés alors que pour leur avantage. Si les anciens Romains n'avaient mis au rang des dieux secondaires que des Scipion, des Titus, des Trajan, des Marc-Aurèle, qu'au- rions-nous à leur reprocher ?

Il y a l'infini entre Dieu et un homme : d'accord; mais si, dans

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