Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/354

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ne doivent tenir en rien des siècles des hommes ordinaires. Dieu, qui ne descend plus sur la terre, y descendait alors souvent pour voir lui-même ses ouvrages. C’est la tradition de toutes les grandes nations anciennes. Les Grecs, qui n’eurent aucune connaissance des livres juifs que longtemps après la traduction faite dans Alexandrie par les Juifs hellénistes; les Grecs avaient cru, avant Homère et Hésiode, que le grand Zeus et tous les autres dieux descendaient de l’air pour visiter la terre. Quel fruit pouvons-nous tirer de cette idée généralement établie? que nous sommes toujours en présence de Dieu, et que nous ne devons nous livrer à aucune action, à aucune pensée, qui ne soit conforme à sa justice. En un mot, la tour de Babel n’est pas plus extraordinaire que tout le reste. Le livre est également authentique dans toutes ses parties : on ne peut nier un fait sans nier tous* les autres ; il faut soumettre sa raison orgueilleuse, soit qu’on lise cette histoire comme véridique, soit qu’on la regarde comme un emblème.

« Et en ce jour le Seigneur traita alliance avec Abraham, en disant : J’ai donné à ta postérité ce pays, depuis le fleuve d’Egypte jusqu’à l’Euphrate^ »

Les incrédules triomphent de voir que les Juifs n’ont jamais possédé qu’une partie de ce que Dieu leur a promis, Ils trouvent même injuste que le Seigneur leur ait donné cette portion. Ils disent que les Juifs n’y avaient pas le moindre droit; qu’un voyage fait autrefois par un Ghaldéen, dans un pays barbare, ne pouvait être un prétexte légitime d’envahir ce petit pays ; qu’un homme qui se dirait aujourd’hui descendant de saint Patrick serait mal reçu à venir saccager l’Irlande, en disant qu’il en a reçu l’ordre de Dieu. Mais considérons toujours combien les temps sont changés ; respectons les livres juifs, en nous gardant d’imiter jamais ce peuple. Dieu ne commande plus ce qu’il commandait autrefois.

On demande quel est cet Abraham, et pourquoi on fait remon- ter le peuple juif à un Ghaldéen fils d’un potier idolâtre, qui n’avait aucun rapport avec les gens du pays de Ghanaan, et qui ne pouvait entendre leur idiome? Ge Ghaldéen va jusqu’à Memphis avec sa femme, courbée sous le poids des ans et cependant belle encore. Pourquoi de Memphis ce couple se transporte-t-il dans le désert de Gérare ? Comment y a-t-il un roi dans cet horrible désert ? Comment le roi d’Egypte et le roi de Gérare

1. Genèse, xv, 18. (Note de Voltaire.)