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DIATRIBES DE L’ABBÉ BAZIN.

drie seule, bâtie par les Grecs, a fait la gloire véritable de l’Égypte.

À l’égard de leurs sciences, si, dans leur vaste bibliothèque, ils avaient eu quelques bons livres d’érudition, les Grecs et les Romains les auraient traduits. Non-seulement nous n’avons aucune traduction, aucun extrait de leurs livres de philosophie, de morale, de belles-lettres, mais rien ne nous apprend qu’on ait jamais daigné en faire.

Quelle idée peut-on se former de la science et de la sagacité d’un peuple qui ne connaissait pas même la source de son fleuve nourricier ? Les Éthiopiens, qui subjuguèrent deux fois ce peuple mou, lâche et superstitieux, auraient bien dû lui apprendre au moins que les sources du Nil étaient en Éthiopie. Il est plaisant que ce soit un jésuite portugais[1] qui ait découvert ces sources.

Ce qu’on a vanté du gouvernement égyptien me paraît absurde et abominable. Les terres, dit-on, étaient divisées en trois portions. La première appartenait aux prêtres, la seconde aux rois, et la troisième aux soldats. Si cela est, il est clair que le gouvernement avait été d’abord, et très-longtemps, théocratique, puisque les prêtres avaient pris pour eux la meilleure part. Mais comment les rois souffraient-ils cette distribution ? Apparemment ils ressemblaient aux rois fainéants ; et comment les soldats ne détruisirent-ils pas cette administration ridicule ? Je me flatte que les Persans, et après eux les Ptolémées, y mirent bon ordre ; et je suis bien aise qu’après les Ptolémées les Romains, qui réduisirent l’Égypte en province de l’empire, aient rogné la portion sacerdotale.

Tout le reste de cette petite nation, qui n’a jamais monté à plus de trois ou quatre millions d’hommes, n’était donc qu’une foule de sots esclaves. On loue beaucoup la loi par laquelle chacun était obligé d’exercer la profession de son père. C’était le vrai secret d’anéantir tous les talents. Il fallait que celui qui aurait été un bon médecin ou un sculpteur habile restât berger ou vigneron ; que le poltron, le faible restât soldat ; et qu’un sacristain, qui serait devenu un bon général d’armée, passât sa vie à balayer un temple.

La superstition de ce peuple est, sans contredit, ce qu’il y a jamais eu de plus méprisable. Je ne soupçonne point ses rois et ses prêtres d’avoir été assez imbéciles pour adorer sérieusement des crocodiles, des boucs, des singes, et des chats ; mais ils lais-

  1. Le P. Paez.