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À M. HUME.


de M. de Montmolin. L’objet de ces lettres est d’animer une partie des citoyens de sa patrie contre l’autre. Mais, dans les cinq premières lettres, il ne parle que d’un roman qu’il a fait, intitulé Émile. Il n’est occupé qu’à justifier son roman ; il ne parle que de lui-même, et après avoir dit à l’archevêque de Paris qu’il est le seul auteur qui ait jamais dit la vérité, et qu’on lui doit des statues, il dit aux bourgeois de Genève, page 136, qu’il a fait des miracles tout comme notre Seigneur, qu’il n’a tenu qu’à lui d’être prophète.

Il appelle Cicéron un rhéteur, page 108. Ainsi le bonhomme, se croyant plus grand orateur que Cicéron, et plus puissant en œuvres que Jésus-Christ, il n’est pas étonnant qu’on lui ait proposé de bon bouillon et des herbes rafraîchissantes.

Ces Lettres de la montagne sont d’ailleurs d’un mortel ennui pour quiconque n’est pas au fait des discussions de Genève. Elles sont assez mal écrites.

Le petit nombre de gens qui se sont intéressés quelque temps à ces querelles passagères sait que le sieur Jean-Jacques Rousseau a fait un roman sur l’éducation. L’auteur de ce roman d’Émile a oublié que, pour bien élever un jeune homme, il faudrait avoir été soi-même honnêtement élevé.

Ce livre est une compilation indigeste de passages tirés de Plutarque, de Montaigne, de Saint-Évremond, du Dictionnaire encyclopédique, et de trente autres auteurs. Il s’est trouvé un pédant qui s’est donné la peine de faire un gros recueil, non-seulement de tous les passages que Rousseau a copiés, mais encore de ceux qui n’ont qu’une très-légère ressemblance avec les siens. Il a intitulé ce livre les Plagiats de Jean-Jacques Rousseau ; il est imprimé à Paris chez Durand[1]. On convient que ce livre est fait avec beaucoup de mauvaise foi et de grossièreté, comme la plupart des livres de pure critique. L’auteur s’acharne sans goût et sans esprit contre des choses très-innocentes, et on l’a comparé à un chien affamé qui aboie aux passants en rongeant les os de Rousseau : aussi cet ouvrage a-t-il eu le sort de tous ceux de son espèce, d’être anéanti à sa naissance. Il est d’un homme assez méprisé dans la littérature. Mais, quoique cette critique soit mauvaise, le livre de Rousseau n’en est pas meilleur.

La chose dont il est le moins parlé dans l’ouvrage de Rousseau

  1. L’auteur des Plagiats de J.-J. Rousseau sur l’éducation, 1765, in-12, est le bénédictin Jean-Joseph Cajot, né à Verdun en 1726, mort en 1779. (B.)