Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
NOTES SUR UNE LETTRE


sur l’éducation, c’est l’éducation même. Il y fait l’éloge des sauvages, il y fait la satire de tous ceux qui servent la société. Il suppose qu’il est chargé de former un jeune seigneur ; et, au lieu de s’y prendre comme on fait dans l’École militaire, qui est le plus beau monument du règne de Louis XV, il fait apprendre le métier de menuisier à son pupille, et voici comme il justifie cette belle institution :

« Que des coquins, dit-il, mènent les grandes affaires, peu vous importe ; vous entrez dans la première boutique du métier que vous avez appris : Maître, j’ai besoin d’ouvrage. — Compagnon, mettez-vous là, travaillez ; avant que l’heure du dîner soit venue, vous aurez gagné votre dîner. »

Ce n’est point ainsi, ce me semble, que s’exprimait le grand Fénelon, et ce n’est point ainsi que Mentor élevait son Télémaque. M. Jean-Jacques veut que son élève soit ignorant jusqu’à l’âge de quinze ans, et qu’il sache raboter au lieu d’apprendre la géométrie, l’histoire, la tactique et les belles-lettres.

Son élève demande à sa mère comment on fait les enfants ; la mère répond que c’est en pissant douloureusement ; et Jean-Jacques trouve cette réponse sublime.

L’auteur sentit dans le fond de son cœur que cet ouvrage pourrait ennuyer. Que fit-il pour le rendre un peu piquant ? Il feignit d’avoir un gentilhomme chrétien à élever ; il ajoute à son livre un volume entier contre le christianisme, volume rempli de contradictions selon l’usage de l’auteur. Il raconte à son jeune homme que lui, Jean-Jacques, s’enfuit autrefois de la boutique de ses parents, qu’il alla en Savoie se faire catholique pour avoir du pain ; qu’il eut le bonheur d’être reçu dans un hôpital ; qu’il contracta dès lors la noble habitude de se brouiller avec ses bienfaiteurs ; qu’il s’enfuit de cet hospice, qu’il alla demander l’aumône à un vicaire de village, et que ce vicaire lui apprit que le christianisme est ridicule. Voici comme il fait parler ce prêtre :

« L’idée de création confond. Qu’un être que je ne conçois pas donne l’existence à d’autres êtres, cela n’est qu’obscur et incompréhensible ; mais que l’être et le néant se convertissent l’un dans l’autre, c’est une claire absurdité. »

Après un tel galimatias il compile tout ce qu’on a dit contre notre religion. Il pille les Herbert, les Bolingbroke, les Shaftesbury, les Bayle, les Boulainvilliers, les d’Argens, les Fréret, les Boulanger, les Colins, les Wolston, les Maillet, les Meslier, les Tilladet, les La Métrie, les Dumarsais, et même Spinosa.