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À M. HUME.


Voilà ce qui a donné quelque vogue à ce livre, et quelques protecteurs à l’auteur. Il s’est trouvé même des personnes assez simples pour croire que ce livre est bien écrit. Si cela est, le Télémaque l’est donc bien mal. Il n’y a guère de pages, dans le roman d’Émile, où l’on ne trouve des fautes contre la langue : le style est tantôt bas et tantôt violent. Les injures qu’il prodigue aux rois, aux ministres, aux riches, ont pu séduire des lecteurs cyniques qui ont pris de l’audace pour de l’éloquence, et une basse envie pour de l’esprit philosophique.

Il est vrai qu’il y a dans le discours du vicaire savoyard une douzaine de pages éloquentes ; mais en général, si ce style décousu, inégal, confus et sans harmonie, prenait le dessus, c’en serait fait de la littérature française.

M. de Voltaire se trompe sur la date des lettres de Rousseau, écrites de Venise à M. du Theil. Il y en a trois, du 8, du 15 août, et du 24 octobre 1744, et non pas 1743. Elles sont encore plus humiliantes que M. de Voltaire ne le dit, et la troisième finit par une délation ménagée artificieusement contre M. le comte de Montaigu son maître ; cela n’est pas philosophe.

M. du Theil n’honora point Rousseau d’une réponse ; plusieurs personnes parmi nous ont vu l’original de ces lettres écrites et signées de la main de Rousseau.

EXTRAITS
Des Lettres du sieur Jean-Jacques Rousseau, employé dans la maison de M. le comte de Montaigu, écrites, en l’an 1744, à M. du Theil, premier commis des affaires étrangères. Ces lettres ont été conservées par hasard chez les héritiers de M. du Theil.
première lettre, du 8 août, reçue le 23.

« J’ose porter jusqu’à vous mes justes et très-respectueuses plaintes contre un ambassadeur du roi et contre un maître dont j’ai mangé le pain…. Il y a quatorze mois que je suis entré chez M. le comte de Montaigu en qualité de secrétaire[1]… Monsieur l’ambassadeur... voulut avant-hier me faire mon compte... Son Excellence, ne pouvant m’obliger à consentir à passer ce compte comme elle le voulait, me proposa en termes très-nets d’y souscrire, ou de sauter par la fenêtre, etc…. Il m’ordonna, en me voyant sortir, de vider son palais, et de n’y jamais remettre les pieds…

  1. Il n’était que sous-secrétaire. (Note de Voltaire.)