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DE BOULAINVILLIERS. 555

nous ne payerions plus à l'évêque de Rome un tribut honteux; quand même on mépriserait assez la consubstantialité et la pro- cession du Saint-Esprit par le Père et le Fils, et la transsubstan- tiation, pour n'en plus parler; quand ces mystères resteraient ensevelis dans la Somme de saint Thomas, et quand les con- temptibles théologiens seraient réduits à se taire, vous resteriez encore chrétiens; vous voudriez en vain aller plus loin : c'est ce que vous n'obtiendrez jamais. Une religion de philosophes n'est pas faite pour les hommes,

M. FRÉRET,

Est quodam prodire tenus, si non datur ultra.

(Li-v. I, ép. I, vers 32.)

Je vous dirai avec Horace : Votre médecin ne vous donnera jamais la vue du lynx, mais souffrez qu'il vous ôte une taie de vos yeux. Nous gémissons sous le poids de cent livres déchaînes, permettez qu'on nous délivre des trois quarts. Le mot de chrétien a prévalu, il restera; mais peu à peu on adorera Dieu sans mé- lange, sans lui donner ni une mère, ni un lils; ni un père pu- tatif, sans lui dire qu'il est mort par un supplice infâme, sans croire qu'on fasse des dieux avec de la farine, enfin sans cet amas de superstitions qui mettent des peuples policés si au-des- sous des sauvages. L'adoration pure de l'Être suprême commence à être aujourd'hui la religion de tous les honnêtes gens, et bien- tôt elle descendra dans une partie saine du peuple même.

l'abbê.

Ne craignez-vous point que l'incrédulité (dont je vois les im- menses progrès) ne soit funeste au peuple en descendant jusqu'à lui, et ne le conduise au crime? Les hommes sont assujettis à de cruelles passions et à d'horribles malheurs; il leur faut un frein qui les retienne, et une erreur qui les console.

M. FRÉRET.

Le culte raisonnable d'un Dieu juste, qui punit et qui récom- pense, ferait sans doute le bonheur de la société; mais, quand cette connaissance salutaire d'un Dieu juste est défigurée par des mensonges absurdes et par des superstitions dangereuses, alors le remède se tourne en poison, et ce qui devrait effrayer le crime l'encourage. Un méchant qui ne raisonne qu'à demi (et il y en a beaucoup de cette espèce) ose nier souvent le Dieu dont on lui a fait une peinture révoltante.

Un autre méchant, qui a de grandes passions dans une âme faible, est souvent invité à l'iniquité par la sûreté du pardon que

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