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578 LETTRE DE L'ARCHEVÊQUE

position de ce grand capitaine Bélisaire ^ : « Dieu est terriJole aux méchants, je le crois, mais je suis bon. »

Je vous assure, milord, que si notre roi, qui est le chef de notre Église, disait : Je suis bon, nous ne ferions point de man- dements contre lui. Je suis bon veut dire, ce semble, par tout pays : j'ai le cœur bon, j'aime le bien, j'aime la justice, je veux que mes sujets soient heureux. Je ne vois point du tout qu'on doive être damné pour avoir le cœur bon. Le roi de France (à ce que j'en- tends dire à tout le monde) est très-bon, et si bon qu'il vous a pardonné des désobéissances réitérées^ qui ont troublé la France, et que toute l'Europe n'a pas regardées comme une marque d'un esprit bien fait. Vous êtes, sans doute, assez bon pour vous en repentir.

Nous ne voyons pas que Bélisaire soit digne de l'enfer pour avoir dit qu'il était un bon homme. Vous prétendez que cette bonté est une hérésie, parce que saint Pierre, dans sa première Épître, chapitre v, vers. 5, a dit que Dieu résiste aux superbes. Mais celui qui a fait votre mandement n'a guère pensé à ce qu'il écrivait. Dieu résiste, je le veux : la résistance sied bien à Dieu; mais à qui rcsiste-t-il selon Pierre? Lisez de grâce ce qui précède, et vous verrez qu'il résiste aux prêtres qui paissent mal leur troupeau, et surtout aux jeunes qui ne sont pas soumis aux vieillards. « In- spirez-vous, dit-il, l'humilité les uns aux autres, car Dieu résiste aux superbes. »

Or, je vous demande quel rapport il y a entre cette résistance de Dieu et la bonté de Bélisaire? Il est utile de recommander l'humilité, mais il faut aussi recommander le sens commun.

On est bien étonné que votre mandataire ait critiqué cette ex- pression humaine et naïve de Bélisaire ^ : a Est-il besoin cju'il y ait tant de réprouvés? » Non-seulement vous ne voulez pas que Bélisaire soit bon, mais vous voulez aussi que le Dieu de miséri- corde ne soit pas bon. Quel plaisir aurez-vous, s'il vous plaît, quand tout le monde sera damné? Nous ne sommes point si im- pitoyables dans notre île. Notre prédécesseur, le grand TillotsonS reconnu pour le prédicateur de l'Europe le plus sensé et le moins déclamateur, a parlé comme Bélisaire dans presque tous ses sermons. Vous me permettrez ici de prendre son parti. Soyez

4. Chap. XV.

2. Voyez tome XVI, page 77 et siiiv.; et aussi la note, tome XXI, page H. o. Chap. XV.

4. Souvent loué par Voltaire; voyez notamment, tome V, page 405, et XXV, pages 510 et 53i.

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