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COMMENTAIRE SUR MALEBRANCHE.


nous que les nerfs de la troisième paire, et quelques-uns des autres paires qui s’insèrent dans des muscles obéissants aux désirs de l’animal ; tous les autres muscles qui servent aux sens, et qui travaillent au laboratoire chimique des viscères, agissent indépendamment de sa volonté. C’est une chose admirable, sans doute, qu’il soit donné à tous les animaux d’imprimer le mouvement à tous les muscles qui servent à les faire marcher, à resserrer, à étendre, à remuer les pattes ou les bras, les griffes ou les doigts, à manger, etc., et qu’aucun animal ne soit le maître de la moindre action du cœur, du foie, des intestins, de la route du sang, qui circule tout entier environ vingt-cinq fois par heure dans l’homme.

Mais s’est-on bien entendu quand on a dit qu’il y a dans l’homme un petit être qui commande à des pieds et à des mains, et qui ne peut commander au cœur, à l’estomac, au foie et au pancréas ? Et ce petit être n’existe ni dans l’éléphant, ni dans le singe, qui font usage de leurs membres extérieurs tout comme nous, et qui sont esclaves de leurs viscères tout comme nous.

On a été encore plus loin ; on a dit : Il n’y a nul rapport entre les corps et une idée, nul entre les corps et une sensation ; ce sont choses essentiellement différentes : donc, ce serait en vain que Dieu aurait ordonné à la lumière de pénétrer dans nos yeux, et aux particules élastiques de l’air d’entrer dans nos oreilles pour nous faire voir et entendre, si Dieu n’avait mis dans notre cerveau un être capable de recevoir ces perceptions. Cet être, a-t-on dit, doit être simple ; il est pur, intangible ; il est en un lieu sans occuper d’espace ; il ne peut être touché, et il reçoit des impressions ; il n’a rien absolument de la matière, et il est continuellement affecté par la matière.

Ensuite on a dit : Ce petit personnage qui ne peut avoir aucune place, étant placé dans notre cerveau, ne peut, à la vérité, avoir par lui-même aucune sensation, aucune idée par les objets mêmes. Dieu a donc rompu cette barrière qui le sépare de la matière, et a voulu qu’il eût des sensations et des idées à l’occasion de la matière. Dieu a voulu qu’il vît quand notre rétine serait peinte, et qu’il entendît quand notre tympan serait frappé. Il est vrai que tous les animaux reçoivent leurs sensations sans les secours de ce petit être ; mais il faut en donner un à l’homme : cela est plus noble ; l’homme combine plus d’idées que les autres animaux : il faut donc qu’il ait ses idées et ses sensations autrement qu’eux.

Si cela est, messieurs, à quoi bon l’Auteur de la nature a-t-il