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PERPÉTUELLE.

pas hier, et aujourd’hui il procède ! Quoi ! avant-hier Jésus n’avait qu’une nature et une volonté, et aujourd’hui il en a deux ! Quoi ! la cène était une commémoration, et aujourd’hui !… n’achevons pas, de peur d’effrayer, par nos paroles, plusieurs provinces de l’Europe. Eh ! mes amis, qu’importe que tous ces mystères soient vrais ou faux ? Quel rapport peuvent-ils avoir avec le genre humain, avec la vertu ? Est-on plus honnête homme à Rome qu’à Copenhague ? Fait-on plus de bien aux hommes en croyant manger Dieu en chair et en os qu’en croyant le manger par la foi ?

XXVIII.

Nous supplions le lecteur attentif, sage et homme de bien, de considérer la différence infinie qui est entre les dogmes et la vertu. Il est démontré que si un dogme n’est pas nécessaire en tout lieu et en tout temps, il n’est nécessaire ni en aucun temps ni en aucun lieu. Or certainement les dogmes qui enseignent que l’Esprit procède du Père et du Fils n’ont été admis dans l’Église latine qu’au viiie siècle, et jamais dans l’Église grecque. Jésus n’a été déclaré consubstantiel à Dieu qu’en 325 ; la descente de Jésus aux enfers n’est que du siècle ve ; il n’a été décidé qu’au vie siècle que Jésus avait deux natures, deux volontés, et une personne ; la transsubstantiation n’a été admise qu’au xiie.

Chaque Église a encore aujourd’hui des opinions différentes sur tous ces principaux dogmes métaphysiques : ils ne sont donc pas absolument nécessaires à l’homme. Quel est le monstre qui osera dire de sang-froid qu’on sera brûlé éternellement pour avoir pensé à Moscou d’une manière opposée à celle dont on pense à Rome ? Quel imbécile osera affirmer que ceux qui n’ont pas connu nos dogmes, il y a seize cents ans, seront à jamais punis d’être nés avant nous ? Il n’en est pas de même de l’adoration d’un Dieu, de l’accomplissement de nos devoirs. Voilà ce qui est nécessaire en tout lieu et en tout temps. Il y a donc l’infini entre le dogme et la vertu.

Un Dieu adoré de cœur et de bouche, et tous les devoirs remplis, font de l’univers un temple, et des frères de tous les hommes. Les dogmes font du monde un antre de chicane, et un théâtre de carnage. Les dogmes n’ont été inventés que par des fanatiques et des fourbes : la morale vient de Dieu.

XXIX.

Les biens immenses que l’Église a ravis à la société humaine sont le fruit de la chicane du dogme ; chaque article de foi a