Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
131
NOS CRIMES ET NOS SOTTISES.

montagnes pelées, et qu’il avait invité à ces jeux trois cents filles du voisinage pour les ravir. Mais il est assez certain que lui et ses compagnons prirent les bestiaux et les charrues des Sabins.

Charlemagne fit la guerre trente ans aux pauvres Saxons pour un tribut de cinq cents vaches. Je ne nie pas que, pendant le cours de ces brigandages, Romulus et ses sénateurs, Charlemagne et ses douze pairs, n’aient violé beaucoup de filles, et peut-être de gré à gré ; mais il est clair que le grand but de la guerre était d’avoir des vaches, du foin, et le reste ; en un mot, de voler.

Aujourd’hui même encore, un héros à une demi-guinée par jour, qui entre avec des héros subalternes à quatre ou cinq sous, au nom de son auguste maître, dans le pays d’un autre auguste souverain, commence par ordonner à tous les cultivateurs de fournir bœufs, vaches, moutons, foin, pain, vin, bois, linge, couvertures, etc. Je lisais ces jours passés dans la petite Histoire chronologique de la France, notre voisine, faite par un homme de robe[1], ces paroles remarquables : « Grand fourrage le 11 octobre 1709, où le comte de Broglie battit le prince de Lobkovitz » ; c’est-à-dire qu’on tua, le 11 octobre, deux ou trois cents Allemands qui défendaient leurs foins : après quoi, les Français, déjà battus à Malplaquet, perdirent la ville de Mons. Voilà sans doute un exploit digne d’une éternelle mémoire que ce fourrage ! Mais cette misère fait voir qu’au fond, dans toutes les guerres, depuis celle de Troie jusqu’aux nôtres, il ne s’agit que de voler.

Cela est si malheureusement vrai que les noms de voleur et de soldat étaient autrefois synonymes chez toutes les nations. Consultez le Miles de Plaute : « Latrocinatus annos decem, mercedem accipio[2] ; j’ai été voleur dix ans, je reçois ma paye. » Le roi Séleucus m’a donné commission de lui lever des voleurs. (Voyez l’Ancien Testament.) Jephté[3], fils de Galaad et d’une prostituée, engage des brigands à son service. Abimélech[4] lève une troupe de brigands. David[5] assemble quatre cents voleurs perdus de crimes, etc.

  1. Le président Hénault.
  2. J’ai vainement cherché ces mots dans le Miles de Plaute ; mais dans les fragments du Cornicularia de cet auteur, on lit :

    Latrocinatus annos decem mercedem.

    Voyez le Plaute de Gruter, avec les commentaires de Fr. Taubmann : Wittemberg, 1621, in-4o, page 1469. (B.)

  3. Juges, xi, 1-3.
  4. Juges, ix, 4.
  5. I. Rois, xxii, 2.