Les Indiens sont le premier peuple qui ait montré un esprit inventif. Qu’on en juge par le jeu des échecs et du trictrac, par les chiffres que nous leur devons, enfin par les voyages que de temps immémorial on fit chez eux pour s’instruire comme pour commercer.
Ils eurent le malheur de mêler à leurs inventions des superstitions, dont les unes sont ridicules, les autres abominables. L’idée d’une âme distincte du corps, l’éternité de cette âme, la métempsycose, sont de leur invention. Ce sont là sans doute de belles idées ; il y a plus d’esprit que dans l’Utopie et dans l’Argénis[1], et même dans les Mille et une Nuits. La doctrine de la métempsycose surtout n’est ni absurde ni inutile.
Dès qu’ils admirent des âmes, ils virent combien il était impertinent d’occuper continuellement l’Être suprême à créer des âmes nouvelles à mesure que les animaux s’accoupleraient. Ce serait mettre Dieu éternellement aux aguets pour former vite un esprit à l’instant que la semence d’un corps mâle est dardée dans la matrice d’un corps femelle. Il aurait bien des affaires s’il fallait créer des âmes à la fois pour tous les rendez-vous de notre monde, sans compter les autres ; et que deviendront ces âmes quand le fœtus périt ? C’est pourtant là l’opinion, ou plutôt le vain discours de nos théologiens. Ils disent que Dieu crée une âme pour chaque fœtus, mais que ce n’est qu’au bout de six semaines. Ridicule pour ridicule, celui des brachmanes fut plus ingénieux. Les âmes sont éternelles, elles passent sans cesse d’un corps à un autre. Si votre âme a été méchante dans le corps d’un tyran, elle sera condamnée à entrer dans celui d’un loup qui sera sans cesse poursuivi par des chiens, et dont la peau servira de vêtement à un berger.
Il y a, dans cet antique système, de l’esprit et de l’équité. Mais pourquoi tant de vaines cérémonies auxquelles les brames s’assujettissent encore pendant toute leur vie ? Pourquoi tenir en
- ↑ L’Utopie ou De Optimo reipublicœ Statu, deque nova insula Utopia, est un plan de constitution sociale, sous forme de roman, par Thomas Morus, grand chancelier d’Angleterre (1516). L’Argénis est également un roman politique, composé par Barclay au temps de Jacques Ier.